Moray & Salinas

Le lendemain, nous continuons notre retour vers Cuzco en effectuant deux dernières étapes au milieu de la Vallée Sacrée, à une dizaine de km de la ville d’Urubamba.

Les terrasses de Moray, étagées en un profond amphithéâtre, offrent un spectacle fascinant. Différents niveaux de terrasses concentriques sont taillés dans une vaste cuvette d’argile. Chaque palier semble jouir de son propre microclimat, selon la profondeur et les Incas les auraient utilisées comme laboratoire afin de déterminer les conditions optimales pour chaque type de culture. La visite est rapide et un taxi nous dépose en fin de matinée dans la ville de Maras, d’où nous entamons une ballade de deux petites heures pour rejoindre un deuxième site d’intérêt à environ 8 km : les Salinas.

D’après Lonely Planet, ce site serait l’un des plus spectaculaires de toute la région de Cuzco. De mon point de vue, c’est franchement exagéré ! Il s’agit d’un site où des milliers de puits salants servent depuis l’époque inca à extraire du sel. Une source chaude au sommet de la vallée alimente un petit cours d’eau très salée qui, dévié vers les puits, permet de récolter du sel pour le bétail. On accède au « Salinas » par une piste en terre battue qui descend depuis la ville de Maras et le site ne se découvre que très tardivement, en contre-bas du chemin d’accès offrant une belle vue sur les puits salants qui détonnent dans le paysage aride de la zone.

Nous rejoignons, après la visite des Salinas, la ville d’Urubamba, où nous avalons nos sandwiches avant de reprendre, en début d’après-midi, un bus pour Cuzco où nous arrivons en fin d’après-midi et retrouvons, pour notre plus grand plaisir, Ruben et Rosa, le couple d’espagnols rencontrés il y a quelques jours au départ pour Machu Picchu.

Ollantaytambo

En dehors de Machu Picchu, la Vallée Sacrée, au milieu de laquelle coule la rivière Urubamba, comptes plusieurs autres sites majeurs de l’Empire Inca, comme la citadelle d’Ollantaytambo. Le village d’Ollantaytambo (souvent appelé Ollanta), un bourg adorable constitué d’étroites ruelles pavées est le plus bel exemple préservé de l’urbanisme inca et fut constamment habité depuis le XIIIème siècle. Il est dominé par deux imposantes ruines incas, vestiges d’une forteresse qui servit de refuge au souverain Manco Inca, lorsqu’il perdit la bataille de Sacsayhuamán, face au conquistador Juan Pizarro qui reprit la ville de Cuzco.

Mais Ollantaytambo marque aussi l’un des rares endroits où les conquistadors perdirent une bataille majeure. En 1536, Hernando Pizarro (jeune demi-frère de Francisco Pizarro) tenta de capturer l’Inca avec l’aide de 70 cavaliers et de nombreux fantassins espagnols et indiens. Manco Inca leur réserva d’abord une pluie de flèches, de lances et de rochers, projetés depuis le haut des terrasses de la forteresse, puis il eut la brillante idée d’inonder la plaine grâce à des canalisations prévues à cet effet, contraignant les assaillants à battre en retraite, qui se transforma presque en déroute lorsque des milliers de guerriers inca victorieux poursuivirent les conquistadors dans la vallée. Toutefois, Manco Inca n’eut guère le temps de savourer sa victoire car les troupes espagnoles revinrent rapidement à ‘attaque avec le soutien d’une cavalerie quatre fois plus importante et l’Inca fut contraint, une nouvelle fois, de se réfugier, dans son fort de Vilcabamba, en pleine jungle.

Forteresse redoutable, Ollantaytambo avait, pour les Incas, autant d’importance sur le plan religieux que militaire. Un temple cérémoniel se trouve au sommet des terrasses. Des murs parfaitement ajustés étaient en construction lors de la conquête et ne furent jamais achevés. Les pierres provenaient d’une carrière à flanc de montagne à 6km, au-dessus de la rive opposée de l’Urubamba. Le transport de ces énormes blocs jusqu’au site est un exploit qui a dû nécessiter les efforts de milliers d’ouvriers. Pour les faire passer d’une berge à l’autre, ils usèrent d’une technique ingénieuse : poser les pierres au bord de la rivière et détourner ainsi son cours !

La visite des ruines d’Ollantaytambo nous occupe une partie de l’après-midi du 11/11/2013, ce qui nous laisse le temps de nous balader dans le labyrinthe des ruelles pavées du village, admirant les édifices de pierre et nous laissant bercer par le murmure des canaux d’irrigation, toujours en fonctionnement.

Machu Picchu par la route alternative

Si l’accès à la « cité inca perdue » est déjà difficile par la géographie des lieux, il l’est tout autant parce que les péruviens semblent vouloir rendre la compréhension de son accès encore plus compliquée, cela favorisant sans doute le commerce des circuits organisés par les agences touristiques de la Vallée Sacrée. Il existe probablement une demi-douzaine de manières de s’y rendre et nous devons une fière chandelle à Ludwig, le patron allemand de l’hôtel Frankenstein dans lequel nous avons séjourné à Cuzco, qui est remarquable de clarté dans les explications qu’il procure à ses clients et vraiment pas avare de son temps. Les treks de plusieurs jours, comme le célèbre « chemin de l’inca », la randonnée la plus célèbre d’Amérique du Sud, ou encore le trek de Salkantay, nécessitent pour la plupart de réserver les services d’un guide, qu’il faut donc avoir réservé bien à l’avance, et ils prennent plusieurs jours pour accéder à Machu Picchu, en plus du fait qu’ils sont vendus à prix d’or par les agences touristiques de Cuzco. Nous avions donc écarté depuis longtemps cette option. Le train depuis Cuzco, ou la combinaison bus de Cuzco à Ollantaytambo puis train d’Ollantaytambo à Aguas Calientes, le village situé en dessous de Machu Picchu, est une option plus rapide mais hors de prix également par rapport au coût moyen de la vie au Pérou. Ne courant pas particulièrement après le temps, nous écartons aussi cette voie.

Le 09/11/2013 au matin, nous formons donc un groupe de 4 avec nos nouveaux potes espagnols, Ruben et Rosa, et quittons l’hôtel en direction de Machu Picchu par ce que beaucoup appellent ici « la route alternative », plus longue que le train, mais aussi nettement plus économique. Elle consiste en un premier trajet de 4 à 5 heures en bus ou minibus (« colectivo ») entre Cuzco et la minuscule ville de Santa Maria, l’itinéraire passant par le col Abra Málaga (4350 m. d’altitude) séparant Ollantaytambo du bassin amazonien, puis un second trajet d’une heure en taxi pour rejoindre une autre petite ville appelée Santa Teresa, puis un dernier tronçon de taxi entre Santa Teresa et une – devenue célèbre – station hydroélectrique (« hydroelectrica »), par laquelle passent de plus en plus de voyageurs pour rejoindre Machu Picchu, et à partir de laquelle il n’est plus possible de continuer en voiture. A partir de cette usine de production électrique, encore en fonctionnement, où travaillent plus de 500 ouvriers, il faut encore marcher pendant deux à trois heures, sur une quinzaine de km, le long de la seule voie ferrée qui mène à Aguas Calientes, en prenant garde aux quelques trains qui circulent sur la voie en s’annonçant systématiquement et à l’avance. En effet, la fameuse « route alternative » est de plus en plus empruntée et les piétons qui longent cette voie ferrée sont très nombreux. Au total, le trajet prend entre 6 et 9 heures en fonction du trafic, des délais d’attentes à chaque transfert et de la vitesse de marche sur la dernière partie. Il est aussi possible de « couper » en restant dormir à Santa Teresa, qui offre d’agréables sources chaudes, puis de réaliser la marche le lendemain : c’est ce que font Ruben et Rosa de qui nous nous séparons temporairement car notre billet d’entrée pour Machu Picchu est pour le lendemain, le leur, pour le jour suivant. Partis de Cuzco à 8h00 le matin, nous arrivons à Aguas Calientes vers 17h après une promenade ensoleillée et une rafraichissante pluie sur les tous derniers km de marche.

Le lendemain matin, il existe là encore deux possibilités pour réaliser l’ascension jusqu’à l’entrée du sacro-saint Machu Picchu : prendre l’un des innombrables bus, payants, qui montent en lacets pendant une vingtaine sur une piste poussiéreuse, ou bien utiliser une fois de plus ses jambes pour gravir les marches qui vous mèneront à l’entrée des ruines, ce qui ne vous coûtera que des calories. Nous optons, Magda et moi, pour la marche ! Nous avons choisi de nous rendre à Machu Picchu par la « voie alternative et économique », alors ne craquons pas si près du but !

Vers 8h30, le 10/11/2013, après une ascension d’une heure environ, au cours de laquelle nous n’avons croisé pratiquement personne, nous y sommes enfin : Machu Picchu s’offre à nous, sous un temps maussade, et nous sommes agréablement surpris par la quantité « raisonnable » de touristes (au moins à notre arrivée). On a filmé notre arrivée (cf. Flickr), de sorte que vous puissiez vivre ça comme si vous aviez été là, avec nous !

Pour la plupart des voyageurs au Pérou, la « cité inca perdue » de Machu Picchu est le clou de leur voyage. Dotée d’une situation mythique et spectaculaire, elle est le site archéologique le plus célèbre du continent, demeurant pourtant inconnue des conquistadors et restant dans l’oubli jusqu’au début du XXème siècle, quand l’historien américain Hiram Bingham le découvre en 1911, guidé par les quelques quechuas qui en connaissaient l’existence. Bingham pensa d’abord avoir trouvé la cité perdue de Vilcabamba, le dernier bastion des Incas, dont nous savons aujourd’hui que les vestiges se trouvent plus profondément encore, dans la jungle. Lors de leur arrivée, Bingham et son équipe durent se contenter d’un vague plan, le site étant recouvert de végétation. Aujourd’hui encore, les connaissances concernant Machu Picchu demeurent superficielles, les archéologues en sont réduits à émettre des hypothèses et à se perdre en conjectures sur sa fonction. Quand certains pensent que la cité fut fondée dans les dernières années de l’Empire Inca, dans un ultime sursaut pour préserver leur culture ou rasseoir leur pouvoir, d’autres supposent que le site était déjà déserté et oublié à l’époque de la conquête. Son emplacement et le fait qu’au moins huit routes d’accès aient été découvertes suggèrent que la cité était le centre névralgique des échanges commerciaux entre les régions de l’Amazonie et de la cordillère. L’exceptionnelle qualité du travail de la pierre et l’abondance des ornements laissent aussi supposer que Machu Picchu fut un important centre cérémoniel.

A l’intérieur des ruines, beaucoup suivent un itinéraire pour la visite qui commence par un point stratégique, dévoilant une vue sur le site d’une ampleur inégalée, surnommé « hutte du Gardien du rocher funéraire », derrière laquelle un rocher sculpté aurait servi pour momifier les nobles. Ensuite, une boucle dans le sens des aiguilles d’une montre vous permettra de découvrir une série de 16 superbes bains cérémoniels, surplombés par le « temple du soleil », une tour pointue qui s’enorgueillit de quelques-unes des pierres les plus finement ouvragées de la cité et qui servait sans doute à l’étude des astres. Plus loin, un petit sentier dans un secteur jonché de rochers, qui devait servir de carrière, conduit à la « Place Sacrée », entourée par des édifices majeurs : le « Temple aux trois Fenêtres », agrémenté d’immenses ouvertures trapézoïdales, caractéristiques de l’ère inca, le « Temple Principal », devant son nom à es dimensions imposantes et un dernier appelé « Maison du Grand Prêtre ». Encore un peu plus loin, un escalier mène au sanctuaire principal de la cité, « l’Intihuatana », qui se traduit librement du quechua « poteau d’amarrage du Soleil », et qui fait référence à un pilier sculpté dans la roche. Souvent pris à tort pour un cadran solaire, il servait en réalité aux astronomes incas pour prédire les solstices et donc le retour des longs jours d’été. Plusieurs Intihuatanas ornaient jadis divers grands sites incas jusqu’à ce que les Espagnols en détruisent la plupart, considérant le culte du Soleil, comme blasphématoire. La « Place Centrale » de Machu Picchu marquait la séparation entre le secteur cérémoniel et les quartiers profanes, industriels et résidentiels, moins bien construits. En revenant maintenant vers l’Entrée principale, on passe par le bloc carcéral, consistant en un labyrinthe de cellules, de niches, de passages, parfois souterrains, et un dernier temple, appelé « temple du condor », abritant une tête de condor sculptée, placée devant des rochers qui évoquent les ailes déployées de l’oiseau.

La qualité exceptionnelle du travail de la pierre et la difficulté d’accès au site ne peuvent qu’amener à s’interroger sur la conception de la cité. A la sortie, de nombreuses plaques « commémoratives » signées par des organisations diverses, reconnaissent la précision, la qualité, la durabilité presque inexplicable des édifices et des canaux d’irrigation de Machu Picchu.

Nous redescendons à pied vers Aguas Calientes en fin de matinée et retrouvons avec grand plaisir Ruben et Rosa avec qui nous partageons un déjeuner puis un dîner le soir. Après une deuxième nuit à Aguas Calientes, et un petit-déjeuner avalé « sur le pouce », nous montons cette fois à bord d’un train de la  compagnie Perú Rail, acheté au prix fort, pour rejoindre Ollantaytambo en deux petites heures et éviter ainsi de reperdre une journée complète par la « route alternative ». Après Machu Picchu, la Vallée Sacrée nous réserve encore quelques surprises.

Cuzco

Au départ d’Andahuaylas, nous achetons cette fois des sièges « VIP » pour le dernier tronçon de route qui nous sépare de Cuzco. Et la différence est notable: nous dormons incontestablement mieux et plus dans ce nième trajet en bus de nuit qui dessert Cuzco en une dizaine d’heures depuis Andahuaylas.

Le 07/11/2013, nous voilà donc enfin à Cuzco, la plus ancienne ville d’Amérique du Sud, capitale archéologique incontestée du continent, cœur de la Vallée Sacrée des Incas.

Une légende raconte qu’au XIIème siècle, le dieu du soleil, « Inti », contempla la Terre et décida que les hommes avaient besoin d’ordre. Il créa alors le premier Inca, Manco Cápac, et sa sœur-épouse, Mama Ocllo. Ils naquirent sur l’Isla del Sol (île du Soleil) – que nous visiterons dans quelques jours -, au large du lac Titicaca, et entamèrent une longue marche. Inti dota Manco Cápac d’un bâton d’or et lui ordonna de s’installer à l’endroit où il pourrait l’enfoncer dans le sol jusqu’à ce qu’il disparaisse: là serait en effet le nombril du monde (« qosq’o » en quechua) auquel le nom de Cuzco doit son origine. Lorsque Manco découvrit ce lieu, il en soumit rapidement les habitants et fonda une toute petite cité qui allait devenir quelques siècles plus tard le centre de l’un des Empires les plus influents des Amériques. L’existence des 7 premiers rois incas, descendant de Manco Cápac, reste semi-légendaire mais on en sait davantage à partir du 8ème souverain de l’Empire, Viracocha, dont le règne aurait duré approximativement de 1400 à 1438 et lui aurait permis d’asseoir la domination inca dans un périmètre de 40 km autour de Cuzco, avant d’aller se réfugier sur un haut plateau dominant la Vallée Sacrée, pensant devoir s’incliner devant la tribu ennemie des Chankas et perdre Cuzco. C’est finalement l’un de ses fils, Yupanqui, qui prend la défense de Cuzco contre les Chankas, et la très sanglante bataille se solde finalement par la victoire du courageux inca Yupanqui, qui ne tardera pas à reprendre les rênes de l’Empire, s’efforçant, sous le nom de Pachacutec, d’étendre ses frontières et d’imposer son autorité à de nombreuses autres tribus. Au cours des 25 années qui suivirent, Pachacutec soumit la majeure partie des Andes centrales, dont la région comprise entre les deux grands lacs, le Titicaca et le Junín. Urbaniste avisé, il donna à la ville sa célèbre forme e puma et dévia les cours des fleuves afin qu’ils la traversent et fit bâtir de beaux bâtiments, dont l’illustre temple de Qorikancha et son palais.

Moins de 100 ans plus tard, Huayna Cápac, le onzième empereur inca, fut le dernier souverain à régner sur un empire unifié, si vaste qu’il ne semblait plus rester grand-chose à conquérir. A sa mort, il laisse l’Empire à ses deux fils, Huáscar, descendant légitime, couronné pas les nobles de Cuzco, et Atahualpa, qui occupe le nord. Mais les deux héritiers s’opposeront violemment, plongeant l’Empire dans une véritable guerre civile. C’est Atahualpa qui s’emparera finalement du pouvoir en 1532, après une bataille sanglante contre son demi-frère, non loin de Cuzco.

Seulement un an plus tard, fin 1533, Francisco Pizarro fait son entrée dans la capitale de l’Empire inca. La ville est mise à sac, le temple du soleil est entièrement détruit pour son or et les tombes des souverains incas sont profanées. La capitale de l’immense et majestueux empire n’est plus. Les espagnols construiront Lima et en feront la nouvelle capitale de la vice-royauté du Pérou.

Le 8 juillet 1538 voit Hernando Pizarro exécuter Diego de Almagro. Les deux conquistadors, pourtant amis lors de la conquête de l’empire Inca, viennent à en découdre, lorsque Almagro décide d’arrêter, à Cuzco, Pizarro pourtant gouverneur de la ville. Son frère aîné, le conquistador Francisco Pizarro, le fait libérer, et les deux partis s’affronteront lors de la bataille de Salinas qui verra les frères Pizarro l’emporter.

Pour un premier aperçu de la ville, nous suivons une fois de plus un itinéraire à pied recommandé par le Lonely Planet qui démarre, comme d’habitude sur la Place d‘Armes de Cuzco, l’une des plus belles places d’Amérique du Sud. La promenade vous emmène d’abord dans les rues avoisinantes de la Plaza d Armas, où la plupart des édifices sont de style colonial et beaucoup ont été transformés en hôtels agrémentés de jolis patios. Autour de la Plaza San Francisco, où se retrouvent le dimanche les « campesinos » venus travailler à Cuzco, on trouve deux églises dont celle de Santa Clara attenant au couvent du même nom, puis vous passerez à proximité du Marché San Pedro, dont l’activité déborde jusque sur le trottoir. Ensuite, l’itinéraire vous dirigera tranquillement vers le quartier de San Blas et sa place du même nom, qu’on atteint par une charmante ruelle pavée dont le dénivelé est presque vertical. D’ici, le point de vue sur Cuzco est imprenable. Dans ce quartier bohème aujourd’hui très à la mode, les canaux d’irrigation inca sont encore visibles le long des rues pavées et des escaliers escarpés.

Le lendemain, 08/11/2013, armés de notre « boleto turistico », sésame presque indispensable à Cuzco, pour accéder aux différents sites archéologiques alentours et aux musées de la ville, nous programmons la visite des 4 sites incas les plus proches de Cuzco qui peuvent se voir en une seule journée. Tambomachay, autrement appelé « Bain de l’Inca », est un site vraisemblablement associé à un culte inca de l’eau, qui comprend un superbe bain cérémoniel en pierre d’où une source cristalline s’écoule dans des fontaines toujours en service. A quelques centaines de mètres se trouve Pukapukara, vraisemblablement un pavillon de chasse, ou un poste de garde, dont la roche, sous certaines lumières, semble rose, d’où son nom, signifiant littéralement « fort rouge ». Q’enqo, était probablement un site dédié aux sacrifices rituels dont les canaux en « zigzag », qui ont donné son nom au site, devaient servir à recueillir la chicha ou le sang.

Mais aucun des 3 sites précités ne vaut l’immense ensemble de ruines de Sacsayhuamán, signifiant « faucon satisfait » en quechua, et qui fût en 1536, le théâtre de l’une des plus terribles batailles de la conquête espagnole, au cours de laquelle le conquistador Juan Pizarro, accompagné de 50 cavaliers, lança une attaque désespérée contre Manco Inca, qui assiégeait les colons espagnols dans Cuzco depuis le site de Sacsayhuamán, et gagna in extremis le combat, forçant le chef inca, dont la plupart des soldats furent tués, à se réfugier dans la forteresse reculée d’Ollantaytambo. La plus étonnante des 3 zones du site est celle englobant les fortifications en zigzag à 3 niveaux, dont l’une des pierres pèse plus de 300 tonnes ! Pachacutec, le neuvième souverain inca qui donna à Cuzco la forme d’un puma conçut Sacsayhuamán comme la tête de l’animal, les 22 murs en zigzag symbolisant les dents, constituant ainsi un mécanisme de défense efficace obligeant les assaillants à exposer leur flanc.

Cuzco est non seulement un condensé passionnant d’histoire, mais aussi une ville cosmopolite, débordante d’énergie, où nous avons fait la connaissance de Ruben et Rosa, un couple d’espagnols vivant à Gérone, avec qui le courant passe immédiatement. Et par chance, leur agenda pour les prochains jours colle avec le nôtre. Nous allons donc partager avec eux quelques trajets en bus, visites de sites archéologiques et repas bien sympathiques.

Andahuaylas

Après 2 jours passés à Ayacucho, nous continuons notre route en direction de Cuzco et la Vallée Sacrée. Les routes des provinces andines étant sinueuses et régulièrement non goudronnées, une étape intermédiaire avant Cuzco nous semble utile. C’est ainsi que nous décidons de nous arrêter à Andahuaylas. Située à presque 3000 m. d’altitude, avec seulement 7000 habitants, c’est pourtant la deuxième ville, en importance, de la province d’Apurímac, l’une des moins explorées des Andes péruviennes.

Après une nouvelle nuit de bus inconfortable, tous les passagers descendent au terminal terrestre d’Andahuaylas : il est 3h du matin ! Quel horaire d’arrivée débile ! Il suffirait de décaler de quelques heures dans la soirée le départ d’Ayacucho pour faire arriver ce bus à une heure un peu plus décente à Andahuaylas, mais apparemment, c’est comme ça et pas autrement. Nous étions informés des horaires au préalable mais comptions sur les retards habituels, espérant ainsi arriver un peu plus tard qu’en plein milieu de la nuit. Après 2h d’attente dans le glacial terminal, avec quelques autres passagers, des locaux pour la plupart, nous devrions maintenant pouvoir intégrer une chambre d’hôtel en ne payant que la prochaine nuit. Quelques minutes de cyclotaxi plus tard, nous pouvons enfin nous recoucher confortablement et au chaud pour quelques heures, alors que le jour se lève sur les montagnes andines.

Dans l’après-midi, la visite d’Andahuaylas se solde en à peine une heure, après quoi nous décidons d’aller prendre des renseignements sans grande conviction pour louer une moto le lendemain. Dans un des nombreux magasins d’achat-vente, on nous recommande une autre adresse à quelques « cuadras », où nous tombons sur un sympathique patron-mécanicien qui loue en effet des motos, d’ordinaire uniquement à ses compatriotes. Il accepte néanmoins de nous en bloquer une pour le lendemain matin, parce que, dit-il, notre niveau en espagnol, pour les touristes que nous sommes, rend la conversation audible – pas certain qu’il sache qu’on parle la même langue que la sienne au pays de Magda.

Le lendemain matin, nous récupérons l’engin, un trail de 200 cc, loué pour 20 soles la demi-journée, soit 5 euros environ – ça a du bon de visiter des endroits « paumés » – sans contrat ni aucune formalité administrative. Nous voilà donc partis pour quelques heures dans les montagnes, à travers routes et chemins à destination d’abord de la Lagune de Pacucha, un grand lac situé à une quinzaine de km d’Andahuaylas, puis l’imposant site archéologique de Sondor, vestiges d’une cité construite par les Chankas, une communauté indienne connue comme ennemie des Incas, partageant toutefois la même préoccupation de recherche d’emplacements stratégiques pour édifier leurs villages. Dans une zone rurale où les habitants ne parlent que le Quechua, les touristes se font rares et les rencontres avec les locaux sont aussi plus difficiles, mais une conversation approximative avec 2 bergères tout en haut du complexe de Sondor nous apprend que la lagune de Pacucha aurait une personnalité féminine, qu’une étrange sirène habiterait dans les profondeurs et consommerait les hommes qui osent venir s’aventurer dans ses eaux. Plusieurs noyades auraient été rapportées à Pacucha, toujours des hommes, paysans ou pêcheurs locaux, qui gardent aujourd’hui prudemment leurs distances.

Cette première visite de complexe archéologique nous permet donc de pressentir immédiatement la mystique atmosphère des cultures indiennes du passé!

Ayacucho

Plutôt que de continuer vers le sud en direction de Nazca et de ses fameuses lignes, et afin d’éviter une nouvelle déconvenue après l’épisode de Huacachina, nous décidons de pénétrer tout de suite vers l’intérieur du Pérou en montant en altitude, dans les Andes. Nous rompons donc avec le « Chemin des Gringos », un itinéraire classique, peut-être le plus emprunté par les voyageurs au Pérou, consistant en une grande boucle au départ de Lima, qui longe ensuite le Pacifique jusqu’à Arequipa, puis s’approche de la frontière avec la Bolivie en la ville de Puno, et enfin remonte vers Cusco et la Vallée Sacrée avant de finalement s’achever à nouveau à Lima. Il y a de grandes chances que notre itinéraire passe finalement par une bonne part des étapes de ce circuit, mais nous les ferons dans un ordre différent, et pour l’heure, nous prenons la route, par un bus de nuit, d’Ayacucho, une ville de 150 000 habitants, située à presque 2800 m. d’altitude, capitale de la province de Huamanga et de la région d’Ayacucho.

Le nom de cette fascinante ville coloniale, dérivé des mots quechua aya (mort ou âme) et cuchu (arrière-pays), offre un aperçu révélateur sur son passé. Capitale isolée d’une province traditionnellement pauvre, Ayacucho constitua un terreau idéal pour l’implantation du Sendero Luminoso (Sentier Lumineux), un mouvement révolutionnaire maoïste à l’initiative du professeur Abimael Guzmán, visant à renverser le gouvernement et qui provoqua des milliers de morts dans la région dans les années 1980 et 1990. Par ailleurs, des liens distendus entre la ville et le monde extérieur ont contribué à fortifier un esprit farouchement indépendant, remarquable dans de nombreux aspects de la vie quotidienne.

Cinq siècles avant l’avènement de l’Empire inca, les Huari dominaient les hauts plateaux péruviens et avaient établis leur capitale tout près d’Ayacucho. D’abord appelée San Juan de la Frontera de Huamanga, la cité se développa rapidement après sa fondation en 1540, alors que les Espagnols s’employaient à la défendre des attaques d’un des célèbres chefs incas : Manca Inca. Presque 3 siècles plus tard, Ayacucho joua un rôle crucial dans la lutte pour l’indépendance du Pérou : un immense monument à proximité de la ville marque le site de la bataille d’Ayacucho (1824), au cours de laquelle 5800 patriotes défirent plus de 8000 Espagnols et mirent fin à la domination coloniale.

La première route entre Ayacucho et le littoral péruvien ne fut achevée qu’en 1924 et seuls 2 bus et quelques dizaines de véhicules circulaient dans la ville jusqu’en 1960. Depuis l’arrestation de Guzmán en 1992, Ayacucho est redevenue une ville sûre et la construction d’une route asphaltée jusqu’à Lima en 1999 lui a permis de se tourner vers le XXIème siècle.

Si l’ombre du passé tragique s’est depuis longtemps dissipée, les touristes commencent seulement à redécouvrir les trésors d’Ayacucho : des églises richement décorées et des bâtiments coloniaux aux couleurs pastel.

Arrivés très tôt le matin du 03/11/2013 après, nous commençons seulement notre visite en début d’après-midi, après avoir reconstitué durant la matinée notre capital sommeil, « salement » entamé par une inconfortable nuit en bus. Toutes les villes du Pérou semblent avoir une place centrale presque systématiquement appelée « Plaza de Armas » qui est généralement un excellent point de départ pour découvrir le centre historique. Ayacucho ne fait pas exception à la règle et nous offre donc quelques clichés ensoleillés de sa Place des Armes et de sa Cathédrale, de style baroque espagnol avec des influences andines. Ayacucho se targue de posséder 33 églises (autant que d’années de la vie du Christ) : autant dire que nos visites à Ayacucho eurent vers la fin, un « arrière-goût » de « déjà-vu ». Pour varier un peu les plaisirs, nous intercalons entre 2 églises, un café Latte dans une pâtisserie, puis un passage au marché central, dans lequel je me retrouve encerclé à un stand de pain artisanal par une quinzaine de péruviens qui se ruent littéralement sur la vendeuse pour acheter par dizaine, les petits pains frais du dimanche, extraordinairement « bon marché ». Pour l’anecdote, en faisant la queue comme tout le monde, j’ai entendu à plusieurs reprises autour de moi « Prioridad al blanco », signifiant que certains locaux semblaient vouloir que je sois servi en priorité, pour ma couleur de peau. C’est une situation que nous avons déjà vécu une fois il y a quelques mois en Inde, où l’on nous avait « contraint » à doubler tous les locaux dans une queue à l‘entrée d’un temple, ce qui nous avait franchement mis mal à l’aise. Donc cette fois, pas question ! Ça me demandera au moins 20 minutes de patience – j’apprends beaucoup, par ce voyage 😉 – mais j’aurai finalement moi aussi l’opportunité d’emporter 5 petits pains frais du marché, qui furent effectivement délicieux.