Copacabana & Isla del Sol

Le 22/11/2013 en fin de matinée, nous quittons le Pérou et entrons en Bolivie.

La Bolivie, en quelques chiffres, c’est un peu plus de 10 millions d’habitants répartis sur un territoire d’1 million de km2 et donc une faible densité de population : moins de 10 habitants/km2. On y parle 4 langues différentes : aymara, quechua, guarani et l’espagnol bien sûr. La monnaie, le bolivien, est faible tout comme le coût de la vie, et le taux de pauvreté atteint 60%. La capitale varie en fonction de la personne à qui vous posez la question : généralement La Paz si vous vous adressez à un habitant de la mégapole du nord du pays, mais plus souvent Sucre si vous posez la question dans le sud de la Bolivie, et le régime politique est une république présidentielle dirigée depuis décembre 2005 par Evo Morales, un homme du peuple, né dans une ville de mineurs de l’Altiplano bolivien et issu d’une famille aymara. Sur le plan géographique, les paysages sont variés, et contrairement à ce que pourraient laisser croire les innombrables photos de l’Altiplano bolivien, ce territoire étonnant situé entre 3000 et 4000 m. d’altitude ne représente que 14% de la superficie totale du pays, l’Amazonie occupe quant à elle 67% du territoire, et le reste est réparti sur des vallées au climat tempéré dont l’altitude varie entre 1500 et 2500 m. Pour autant, nombre d’étapes touristiques et de villes d’intérêt se situent sur l’Altiplano, ce qui explique que la Bolivie est souvent associée à ce paysage.

Avant la colonisation européenne de la région au XVIe siècle, le territoire bolivien appartenait à l’Empire Inca. Pendant la période coloniale espagnole, la région s’appelle « le Haut-Pérou » ou « Charcas ». La Bolivie déclare son indépendance vis-à-vis de l’Espagne en 1825, et s’en suivent 16 années de guerre avant la mise en place de la République, du nom de Simón Bolívar, dont nous avons déjà parlé.

Depuis la ville de Puno au sud du Pérou, nous empruntons donc un bus occupé presque exclusivement par des touristes étrangers dont la destination s’appelle Copacabana, un petit village touristique sur les bords du lac Titicaca, qui a donné son nom à la fameuse plage brésilienne et la durée estimée du trajet est courte, pour une fois. Quand je dis courte, entendons-nous, c’est relatif à ce que nous vivons depuis quelques mois, ça devrait nous prendre entre 3 et 4h, quand même !

Mais comme c’est souvent le cas en Amérique latine, entre temps de trajet annoncé et réalisé, il peut y avoir un écart, voire un gouffre ! Ce matin en l’occurrence, on parlera juste d’écart puisque nous mettrons environ 5h pour parcourir les quelques 100 km (et oui, seulement, et pourtant !) qui séparent Copacabana de Puno. En cause : les formalités administratives obligatoires à la frontière Pérou-Bolivie dans une organisation largement perfectible.

Il faut imaginer 3 ou 4 bus de touristes bien chargés qui se présentent en même temps à la frontière. Ils sont probablement tous partis du même terminal à Puno avec un horaire de départ commun, donc logique implacable : on arrive tous en même temps. Quoique, même si ça n’a pas été le cas ce matin, les retards sont fréquents et il arrive même que certains bus fassent le plein 5 minutes après le départ (c’est tellement plus pratique et logique ainsi, n’est-ce pas ?). Bien, d’abord, tout le monde doit se présenter à la « police péruvienne » pour faire tamponner la date du jour (oui, seulement ça !), puis il faut refaire la queue au service de « migration péruvienne » pour vérification du nombre de jour passés sur le territoire péruvien et enfin, après une traversée à pied d’environ 300 mètres, refaire une troisième fois la queue pour faire tamponner la date d’entrée en Bolivie, et obtenir son visa d’entrée! Et bien sûr, il y a une personne (une et demi, dans le meilleur des cas) à chaque guichet donc ça prend forcément un peu de temps pour contrôler 200 voyageurs !

Bref, en tout début d’après-midi, nous arrivons enfin à la jolie Copacabana, qui jouit d’un cadre naturel enchanteur et sert d’étape, presque incontournable, sur le classique tronçon touristique Cuzco – La Paz. Elle voit donc passer, chaque année, de nombreux de voyageurs s’arrêtant principalement pour la visite de l’Isla del Sol, atteignable depuis le port de la ville. Le patrimoine de la ville se résume à la Basilique Notre-Dame de Copacabana, reconstruite en style morisque, après une première édification renaissance au milieu du XVème siècle, qui héberge une fameuse sculpture : celle de la Virgen de la Candelaria (Vierge de la Chandeleur).

Quand les conquistadors débarquèrent dans la région, Copacabana était de longue date un lieu de pèlerinage inca. Les colons tentèrent d’y implanter le culte catholique et notamment celui de la Vierge. Ils construisirent donc une cathédrale et une statue en bois de la Vierge y fut installée : Notre-Dame de Copacabana. Petit détail qui a son importance : cette Vierge est « noire ». Comprenez : ses traits sont indiens, ce qui explique sa popularité immédiate. On la doit au sculpteur Tito Yupanqui. Selon la légende, cet Indien de Potosi aurait eu une vision de la Vierge qui aurait sauvé des marins incas d’une terrible tempête sur le lac Titicaca. Il aurait donc sculpté cette vision et apportée la vierge à pied depuis Potosi, soit une trotte de plus de 650 km ! Cette icône fait l’objet d’un culte auprès de l’ensemble des communautés autochtones sud-américaines et elle est aujourd’hui l’un des emblèmes du métissage religieux entre l’Occident chrétien et les croyances des Andes. Elle ferait des miracles dont l’un d’entre eux est à l’origine de la célèbre plage de Rio de Janeiro. En 1754, un marin, pris dans une tempête au large du Brésil, implora Notre-Dame de Copacabana de lui venir en secours. Sauvé des flots, il lui consacra une chapelle à l’endroit même où sera érigé un fort, près de la future plage de Copacabana. Depuis 1925, la Vierge est, par ailleurs, la sainte Patronne de la Bolivie.

Tous les ans au mois d’août, le culte de la Vierge noire atteint son paroxysme dans une débauche de musique, de prière, de couleurs et d’alcool. Ces célébrations coïncident avec la fête nationale de la Bolivie. Une gigantesque procession, regroupant plusieurs dizaines de milliers de Boliviens et Péruviens, a lieu dans les rues de la petite ville. Copacabana est en ébullition : partout, on joue de la musique, on danse et on boit énormément de bière et de chicha (boisson alcoolisée à base de maïs fermenté). Les prières des fidèles s’adressent à la Vierge ou à la Pachamama, la Terre-Mère, en une étonnante appropriation du culte chrétien. Comme on est fin novembre, nous devrons malheureusement nous résoudre à imaginer cette fête au lieu de la vivre. Quant à la Vierge, elle est conservée scrupuleusement mais visible à l’intérieur de la cathédrale. En effet, selon les croyances locales, si elle venait à bouger de son sanctuaire, un désastre ne tarderait pas à s’abattre sur Copacabana!

La ville de Copacabana est aussi le théâtre d’une amusante cérémonie que nous n’aurons pas non plus la chance d’immortaliser : la bénédiction des véhicules à moteur. Une fois par an, toute sorte de véhicules, de la voiture personnelle au bus municipal, viennent recevoir la bénédiction d’un prêtre et un commerce de décorations diverses a vu le jour à Copacabana pour accompagner cette cérémonie : guirlandes colorés, confettis, banderoles sont ainsi disposées à l’avant ou sur le capot des véhicules, juste avant que le prêtre n’arrose de son eau bénite le véhicule, moteur inclus!

Mais revenons sur notre arrivée : après avoir déposé nos sacs dans une chambre d’hôtel économique, et pris une rapide douche dans une salle de bain inondée en environ 5 secondes d’écoulement de l’eau (non Papa, je t’assure que je n’ai pas laissé longtemps l’eau couler!), nous partons déjeuner et Magda choisit judicieusement de gouter une truite du lac, qui ont grande réputation. Lors de découvertes culinaires, j’ai généralement tendance à moins me tromper qu’elle, ce qui me fait rigoler à tous les coups, mais aujourd’hui, elle a eu une divine inspiration (sans doute l’effet de la vierge de Copacabana) et j’ai dû me contenter d’une vulgaire et insipide escalope milanaise. Nous passons le reste de l‘après-midi à nous promener entre les rues poussiéreuses du port et les stands d’artisanat de l’artère principale. L’ambiance est hippie à souhait, le soleil brille, le ciel est bleu azur et l’eau du lac Titicaca, bleu marine.

Le lendemain matin, nous embarquons dès 8h30 sur un petit bateau en bois direction « l’Isla del Sol », située sur le Titicaca, à 2 heures de navigation et pourtant pas si loin que ça. Heureusement que le paysage est chouette car à la vitesse à laquelle ces rafiots naviguent, on a vraiment le temps de l’admirer! L’île du Soleil, longue d’une dizaine de km, possède 2 ports, l’un au nord et l‘autre au sud, reliés par un chemin de crête. Nous avons opté pour une traversée de l’île Nord-Sud et notre bateau accoste donc au port de Challapampa, duquel nous marcherons quelques heures pour rejoindre celui de Yumani, au sud. Dès notre arrivée, on commence par nous faire passer à la caisse pour acheter notre droit d’entrée et l’accès aux ruines de l’île ainsi qu’à un micro-musée que nous décidons de ne pas visiter : avec un temps pareil, pas question d’aller s’enfermer! Depuis Challapampa, nous commençons à marcher en évoluant vers l’extrême pointe nord de l’île où se situe l’un des sites archéologiques les plus remarquables. À l’époque des Incas, l’île était un sanctuaire. Il s’y trouvait un temple avec des vierges dédiées au dieu Soleil ou Inti. C’est de là que provient le nom de l’île. Naturellement, nous nous retrouvons dans un petit groupe de marcheurs emmenés par un habitant de l’île à la peau ridée et au teint sombre, qui guide la troupe et ponctue la marche avec des informations sur la végétation, le mode de vie, les us et coutumes sur l’île du Soleil. En une demi-heure, nous arrivons au supposé lieu de naissance de l’univers inca! Notre attendrissant guide, dont l’âge doit allègrement dépasser les 70 ans, nous parle avec un respect visible et marqué, de ce lieu de pérégrination et insiste à plusieurs reprises pour que nous ayons tous « un peu de foi et de compréhension ». Un peu mystique, mais le moment est beau, l’homme intéressant, authentique et tout cela semble important pour lui. On admire donc la Roche Sacré ou Roche des Origines, le lieu exact qui, selon la légende, a vu naître les deux premiers incas (Manco Cápac et Mama Ocllo) qui se virent confier la mission et la responsabilité de la création du nombril du monde : Cuzco (cf. article sur Cuzco). On nous propose même, sans trop de lourdeur cette fois, de nous recueillir quelques instants au contact de la roche pour ressentir sa force. Notre guide se sépare du groupe après la visite des ruines de « Chinkana », construction de type « labyrinthe » probablement utilisée pour les moments de méditation ou d’initiation des fidèles au culte du soleil, puis du supposé lieu de résidence des « vierges du soleil », appelé « Ajlla Wasi » ou « Maison des élues vierges du soleil ». Une visite authentique et un guide touchant, je garde un bon souvenir de cette arrivée sur l’île du Soleil.

Ensuite, nous entamons la marche de 8 à 10 km pour rejoindre le sud de l‘île. La route à suivre est un chemin de crête au milieu de l’île qui traverse des paysages arides et offre régulièrement des points de vue sur de petites criques désertes, sur la Cordillère Royale de Bolivie au loin (concurrente de la Cordillère Blanche au Pérou) dont les sommets enneigés dépasse les 6000 m, et sur l’immensité des eaux du lac le plus haut du monde.

Cet exceptionnel environnement attire de plus en plus de touristes et le revers de la médaille est que les habitants de l’île semblent en vouloir tirer « trop visiblement » profit. Entre l’arrivée au nord de l’île et le retour depuis le sud, on vous prend en otage 3 fois pour payer un « droit de passage » dans chacune des municipalités traversées par le sentier. Quand il s’agit de payer pour un service rendu, pas de problème, mais quand il s’agit de payer pour « avoir le droit de continuer son chemin » et que vous n’avez de toute façon pas le choix puisque vous êtes au milieu d’une île, en plein milieu du lac Titicaca, ça commence à s’approcher du racket et c’est autrement plus agaçant, surtout si vous n’avez pas été prévenu. Nous ne nous sommes pas privés pour l’exprimer ainsi à chacun des « checkpoints » même si peu d’espoir que cela change. Si encore ces recettes étaient redistribuées équitablement entre les familles habitantes sur l’île ou bien utilisées pour l’éducation des plus jeunes, mais je n’en ai franchement pas la certitude.

Enfin, nous arrivons au port de Yumani, par un sentier emprunté par les locaux pour acheminer à dos de mulet, les vivres et stocks pour les différentes auberges et hôtels du sud de l’île. En deux heures de navigation sous un soleil radieux, nous rentrons à Copacabana où nous terminons la soirée par une ballade « digestive » au bord du lac.

Le lendemain, nous prenons la direction de La Paz, située à trois heures de bus de Copacabana, par une jolie route qui passe notamment par le détroit de Tiquina. A San Pedro de Tiquina, tout le monde descend du bus, qui est embarqué sur une barge à fond plat dont la flottaison est miraculeuse, pour effectuer la traversée du détroit, d’à peine 1 km de long, pendant que les voyageurs empruntent, eux, une embarcation un peu plus décente. Je ne serai pas étonné d’apprendre que les eaux du détroit retiennent quelques épaves de véhicules qui n’ont jamais atteint l’autre rive du lac. C’est sur cette mémorable traversée que s’achève notre séjour au bord du lac Titicaca que nous côtoyons depuis notre arrivée à Puno.