La Paz

Le 24/11/2013, fin de matinée, notre bus arrive, à l’immense La Paz par les hauts plateaux qui surplombent la capitale, comme c’est le cas pour beaucoup de voyageurs. Cette zone, appelée « El Alto », anciennement banlieue de la ville de La Paz, et depuis 1985 une ville à part entière, est devenue la troisième ville la plus peuplée du pays, ainsi que la « capitale » du peuple aymara, et elle offre une vue à couper le souffle sur l’étonnant chaos urbain qu’est la ville de La Paz. La ville est en effet confinée dans une énorme cuvette à l’endroit même où se crée une rupture nette dans l’Altiplano.

La Paz, s’étage donc entre 3200 et 4000 m. d’altitude, et elle est considérée la capitale la plus haute du monde même si le terme de capitale est ambigu. La Paz est en effet le siège du gouvernement, la capitale administrative du pays, Sucre étant considéré capitale constitutionnelle. Les 2 villes se partagent en effet les trois pouvoirs : l’exécutif et le législatif à La Paz, le judiciaire à Sucre. Associée aux communes voisines d’El Alto et Viacha, La Paz compte plus d’1,6 Millions d’habitants, faisant d’elle la seconde agglomération la plus peuplée de Bolivie derrière Santa Cruz. Entourée par d’innombrables pics enneigés culminant tous à près de 6000 m. d’altitude, tels que le Nevado Illimani (6402 m.), elle possède l’un des cadres naturels les plus beaux du monde et représente une base idéale pour les afficionados de haute montagne qui viennent nombreux chaque année découvrir les randonnées et ascensions de la Cordillière Royale.

Du fait de l’altitude, la ville compte plusieurs records: elle détient l’aéroport international le plus élevé au monde, ainsi que le stade olympique agrée le plus haut, mais ce stade ne peut recevoir de compétition de football internationale, parce que la FIFA a émis une règle interdisant l’organisation de matchs officiels dans des stades situés à plus de 2500 m. d’altitude. D’autres curiosités la caractérisent : par exemple, l’eau bout à 89 °C, ou autre chose étonnante, La Paz est l’une des seules villes au monde où les plus pauvres vivent en hauteur et les plus aisés vivent presque tous dans les quartiers situés les plus bas de la ville.

Depuis le terminal de bus, on emprunte un taxi qui nous dépose dans le quartier prisé des touristes et backpackers puis on commence à chercher un hôtel ce qui va nous occuper pour une fois, un peu plus longtemps que d’habitude. Arrivant de Copacabana, dans le nord du pays, nos repères financiers sont un peu bousculés et nous avons, semble-t-il, sous-estimés le coût du logement dans une métropole telle que La Paz. Après une bonne heure de déambulation dans les rues chaotiques de La Paz, le poids de nos sacs finit par avoir raison de nous et nous revenons, par un deuxième trajet en taxi, dans l’un des premiers hôtels visités en plein centre du quartier touristique mais dans un coin qui va s’avérer très bruyant.

Par hasard, l’après-midi de notre arrivée se tient une fête de quartier appelée « Fiesta de Jesús del Gran Poder » ou « Festividad del Señor del Gran Poder », la déclinaison « locale » d’une célébration religieuse nationale qui se déroule chaque année dans la ville de La Paz, un samedi entre la fin du mois de mai et le début du mois de juin. Un immense défilé est alors organisé en l’honneur du Seigneur Jésus Christ dans le centre de La Paz. Aujourd’hui, nous avons le plaisir de vivre une version « locale » de cette grande fête, puisque chaque quartier célèbre cette fête à la date anniversaire de création de la paroisse.

Comme c’est le cas pour la célébration nationale, les festivités se déroulent dans les rues, les espaces publics, les places ainsi que les avenues, les spectateurs s’installant alors confortablement sur les trottoirs afin de profiter du défilé, des danseurs, de la musique jouée par des fanfares ambulantes ou des orchestres et des plats typiques et boissons vendus par de multiples stands montés pour l’occasion.

La célébration du « Gran Poder », qui signifie « Grand Pouvoir » et provient de la croyance que Dieu est amour, cet amour générant un pouvoir qui fait tomber tous les obstacles, illustre une vision andine du partage des richesses, car dans les communautés du Haut Plateau des Andes, la réciprocité est fondamentale pour le bien-être de la société. On parle ainsi de l’Ayni, qui veut dire « pour toi aujourd’hui et pour moi demain », dans la langue Aymara. Le « preste », nom donné à l’évènement ainsi qu’à la personne qui organise et finance la fête privée d’un groupe folklorique, ayant lieu le lendemain de la fête du « Gran Poder », est une forme de réciprocité au sein du groupe mais aussi avec Dieu, car les danseurs défilent en demandant au Seigneur sa protection ainsi que la réalisation de leurs souhaits ou projets.

Symbole du syncrétisme religieux, cette fête mélange des traditions catholiques et aymaras. Par exemple, la veille du défilé les participants font une promesse, espérant les faveurs du Seigneur, en s’engageant à danser trois années de suite, afin que leurs souhaits se réalisent. Cette promesse s’accompagne d’une cérémonie pour la Pachamama (Terre Mère). On y brûle un ensemble d’objets en sucre (offrandes), pour demander la protection de Terre Mère lors des festivités, mais aussi pour la vie de tous les jours.

Pour nous, européens, cette fête est l’occasion d’admirer sous toutes les coutures les costumes traditionnels des « cholitas », ces femmes d’origine aymara, illustrant le folklore du pays, perdurant les traditions et égayant le paysage urbain et rural avec leur chapeau melon (« el bombin ») vissé sur la tête. Evo Morales, actuel président du pays, lui-même issu du peuple aymara, dont la revalorisation des peuples indigènes est une priorité, a même créé une fête populaire nationale en l’honneur des Cholitas pour ce qu’elles incarnent : un symbole du métissage du pays et de l’identité bolivienne.

Une légende raconte que le port du chapeau melon par les femmes, un accessoire masculin pour nous, européens, provient d’un chapelier qui reçut une importante livraison de ces chapeaux, tous trop petits pour les hommes. Il eut alors la brillante idée de répandre l’information auprès des femmes boliviennes que cette forme « melon » était devenue la nouvelle mode en Europe. La plupart abandonnèrent alors leur chapeau aux bords plats et décorés de fleurs au profit de ce nouvel accessoire pour ne plus jamais s’en séparer !

Certaines de ces femmes sont devenues populaires et respectées en s’affrontant tous les dimanches, sur les hauteurs de La Paz, dans la ville d’El Alto, à l’occasion de combats de catch touristiques, revêtues de leur tenue traditionnelle. Nous n’avons pas assisté à ce show, qui semble ne pas laisser un souvenir impérissable aux voyageurs qui en ont fait l’expérience même si ces catcheuses boliviennes semblent s’entrainer quotidiennement et sérieusement pour offrir aux touristes un show qui se veut original et amusant.

Dans un tout autre genre, « El Valle de la Luna » ou « La Vallée de la Lune » est une région due à l’érosion de la partie supérieure d’une montagne, située à une dizaine de km au sud de La Paz un peu au-delà des quartiers chics. Le sol, composé d’argile, comme la plupart des montagnes autour de La Paz, est de nature fragile, et les éléments ont donc sculpté, au cours des siècles, une œuvre d’art, semblable à un désert de stalagmites. Le fait que ces argiles soient composées en proportion variable de certains minéraux d’une montagne à une autre, produit des coloris différents, créant une impression visuelle très plaisante. Elles sont en grande majorité d’une couleur claire proche du beige ou d’un marron très pâle mais peuvent également présenter des zones plus foncées tirant sur l’ocre. Le site, de petite taille, se visite en à peine une heure au travers de sentiers spécialement aménagés au milieu des galeries de stalagmites offrant un paysage très original.

En dehors des activités sportives disponibles à proximité immédiate de La Paz, et dont nous reparlerons dans les prochains articles, la ville elle-même, possède 2 facettes :

– des rues pavées en forte pente fréquentées par une population majoritairement aymara, qui descendent depuis la rupture de l’Altiplano, dans lesquelles les magasins d’artisanat et de spécialités locales sont légions;

– de grandes avenues goudronnées, situées en contrebas de la ville, où fleurissent grandes surfaces et enseignes de grandes marques, supermarchés, salles de cinéma, etc. Les populations indigènes se font ici plus rares et on croise plus fréquemment des hommes d’affaires en costard-cravate, des adolescentes maquillées et habillées « à l’américaine », bref des profils éloignés des clichés boliviens.

C’est bien sûr le premier visage de La Paz, ci-dessus décrit qui présente un intérêt touristique. Nombreux auront été les petits déjeuners consommés chez « Tia Gladys », une minuscule cafétéria très prisée des touristes israéliens, extrêmement nombreux en Bolivie, dont les murs sont tapissés de photos de la patronne accompagnée de voyageurs et de témoignages de sympathie attestant du bon accueil et de la qualité des plats proposés : les « alfajores », desserts à base de crème fouettée ou « dulce de leche » sont immanquables.

Notre dernier après-midi sur place nous permet d’immortaliser les quelques points de vue et places qui valent le détour. Le mirador Killi Killi offre par exemple une vue à presque 360° sur la ville et sur le Mont Illimani visible par temps clair. C’est un point de vue particulièrement impressionnant en fin d’après-midi lorsque le soleil, juste avant de se coucher sur « El Alto » vient caresser d’une douce lumière les pentes de La Paz. La place du Palais Présidentiel, où se dresse également la cathédrale « Nuestra Señora de La Paz » est un étonnant mélange d’architecture récente et rutilante (le Palais Présidentiel, par exemple) et de bâtiments délabrés dont la destruction proche semble inéluctable. Enfin, le « marché de sorcellerie », un ensemble de stands à ciel ouvert situé en plein centre du quartier touristique, propose des produits mystiques voire franchement loufoques pour nous, européens. On y trouve toute sorte d’herbes et d’objets en pierre majoritairement dédiés au culte de la Pacha Mama, et la plupart de ces stands vendent aussi des cadavres de bébés lamas et alpacas séchés !

Comme déjà évoqué plus tôt dans cet article, en Bolivie, encore plus qu’ailleurs, deux religions coexistent dans la vie quotidienne : le christianisme et le culte de la « Pacha Mama ». Cette croyance descend tout droit de la « religion » ancestrale des précédentes civilisations, qui divisait le monde en trois : le monde « d’en haut », celui des dieux, représenté par un condor, le monde du peuple vivant, celui du présent, représenté par un puma, et le monde « d’en bas », celui des morts, représenté par un serpent.

Les lamas et alpacas, animaux présents en grande quantité dans cette région du globe, font encore aujourd’hui pleinement partie du culte de la Terre Mère. Les fœtus de lama sont très régulièrement enterrés dans les fondations de bâtiments en construction, comme porte-bonheur, et cela concerne les maisons individuelles autant que les projets municipaux d’envergure. Les bébés lamas, tués à quelques semaines après la naissance, servent d’offrande à la Pacha Mama, un seul moment dans l’année, au mois d’août. Pendus aux armatures des stands en pleine rue, ces cadavres sont achetés puis brûlés avec des fleurs et autre victuailles en donation au monde « d’en haut ».

La Paz est définitivement une étonnante ville, moins désagréable qu’elle n’y parait au premier jour, et surtout une base idéale pour s’adonner aux joies des sports de montagne, auxquelles nous avons pu gouter durant notre séjour.

Copacabana & Isla del Sol

Le 22/11/2013 en fin de matinée, nous quittons le Pérou et entrons en Bolivie.

La Bolivie, en quelques chiffres, c’est un peu plus de 10 millions d’habitants répartis sur un territoire d’1 million de km2 et donc une faible densité de population : moins de 10 habitants/km2. On y parle 4 langues différentes : aymara, quechua, guarani et l’espagnol bien sûr. La monnaie, le bolivien, est faible tout comme le coût de la vie, et le taux de pauvreté atteint 60%. La capitale varie en fonction de la personne à qui vous posez la question : généralement La Paz si vous vous adressez à un habitant de la mégapole du nord du pays, mais plus souvent Sucre si vous posez la question dans le sud de la Bolivie, et le régime politique est une république présidentielle dirigée depuis décembre 2005 par Evo Morales, un homme du peuple, né dans une ville de mineurs de l’Altiplano bolivien et issu d’une famille aymara. Sur le plan géographique, les paysages sont variés, et contrairement à ce que pourraient laisser croire les innombrables photos de l’Altiplano bolivien, ce territoire étonnant situé entre 3000 et 4000 m. d’altitude ne représente que 14% de la superficie totale du pays, l’Amazonie occupe quant à elle 67% du territoire, et le reste est réparti sur des vallées au climat tempéré dont l’altitude varie entre 1500 et 2500 m. Pour autant, nombre d’étapes touristiques et de villes d’intérêt se situent sur l’Altiplano, ce qui explique que la Bolivie est souvent associée à ce paysage.

Avant la colonisation européenne de la région au XVIe siècle, le territoire bolivien appartenait à l’Empire Inca. Pendant la période coloniale espagnole, la région s’appelle « le Haut-Pérou » ou « Charcas ». La Bolivie déclare son indépendance vis-à-vis de l’Espagne en 1825, et s’en suivent 16 années de guerre avant la mise en place de la République, du nom de Simón Bolívar, dont nous avons déjà parlé.

Depuis la ville de Puno au sud du Pérou, nous empruntons donc un bus occupé presque exclusivement par des touristes étrangers dont la destination s’appelle Copacabana, un petit village touristique sur les bords du lac Titicaca, qui a donné son nom à la fameuse plage brésilienne et la durée estimée du trajet est courte, pour une fois. Quand je dis courte, entendons-nous, c’est relatif à ce que nous vivons depuis quelques mois, ça devrait nous prendre entre 3 et 4h, quand même !

Mais comme c’est souvent le cas en Amérique latine, entre temps de trajet annoncé et réalisé, il peut y avoir un écart, voire un gouffre ! Ce matin en l’occurrence, on parlera juste d’écart puisque nous mettrons environ 5h pour parcourir les quelques 100 km (et oui, seulement, et pourtant !) qui séparent Copacabana de Puno. En cause : les formalités administratives obligatoires à la frontière Pérou-Bolivie dans une organisation largement perfectible.

Il faut imaginer 3 ou 4 bus de touristes bien chargés qui se présentent en même temps à la frontière. Ils sont probablement tous partis du même terminal à Puno avec un horaire de départ commun, donc logique implacable : on arrive tous en même temps. Quoique, même si ça n’a pas été le cas ce matin, les retards sont fréquents et il arrive même que certains bus fassent le plein 5 minutes après le départ (c’est tellement plus pratique et logique ainsi, n’est-ce pas ?). Bien, d’abord, tout le monde doit se présenter à la « police péruvienne » pour faire tamponner la date du jour (oui, seulement ça !), puis il faut refaire la queue au service de « migration péruvienne » pour vérification du nombre de jour passés sur le territoire péruvien et enfin, après une traversée à pied d’environ 300 mètres, refaire une troisième fois la queue pour faire tamponner la date d’entrée en Bolivie, et obtenir son visa d’entrée! Et bien sûr, il y a une personne (une et demi, dans le meilleur des cas) à chaque guichet donc ça prend forcément un peu de temps pour contrôler 200 voyageurs !

Bref, en tout début d’après-midi, nous arrivons enfin à la jolie Copacabana, qui jouit d’un cadre naturel enchanteur et sert d’étape, presque incontournable, sur le classique tronçon touristique Cuzco – La Paz. Elle voit donc passer, chaque année, de nombreux de voyageurs s’arrêtant principalement pour la visite de l’Isla del Sol, atteignable depuis le port de la ville. Le patrimoine de la ville se résume à la Basilique Notre-Dame de Copacabana, reconstruite en style morisque, après une première édification renaissance au milieu du XVème siècle, qui héberge une fameuse sculpture : celle de la Virgen de la Candelaria (Vierge de la Chandeleur).

Quand les conquistadors débarquèrent dans la région, Copacabana était de longue date un lieu de pèlerinage inca. Les colons tentèrent d’y implanter le culte catholique et notamment celui de la Vierge. Ils construisirent donc une cathédrale et une statue en bois de la Vierge y fut installée : Notre-Dame de Copacabana. Petit détail qui a son importance : cette Vierge est « noire ». Comprenez : ses traits sont indiens, ce qui explique sa popularité immédiate. On la doit au sculpteur Tito Yupanqui. Selon la légende, cet Indien de Potosi aurait eu une vision de la Vierge qui aurait sauvé des marins incas d’une terrible tempête sur le lac Titicaca. Il aurait donc sculpté cette vision et apportée la vierge à pied depuis Potosi, soit une trotte de plus de 650 km ! Cette icône fait l’objet d’un culte auprès de l’ensemble des communautés autochtones sud-américaines et elle est aujourd’hui l’un des emblèmes du métissage religieux entre l’Occident chrétien et les croyances des Andes. Elle ferait des miracles dont l’un d’entre eux est à l’origine de la célèbre plage de Rio de Janeiro. En 1754, un marin, pris dans une tempête au large du Brésil, implora Notre-Dame de Copacabana de lui venir en secours. Sauvé des flots, il lui consacra une chapelle à l’endroit même où sera érigé un fort, près de la future plage de Copacabana. Depuis 1925, la Vierge est, par ailleurs, la sainte Patronne de la Bolivie.

Tous les ans au mois d’août, le culte de la Vierge noire atteint son paroxysme dans une débauche de musique, de prière, de couleurs et d’alcool. Ces célébrations coïncident avec la fête nationale de la Bolivie. Une gigantesque procession, regroupant plusieurs dizaines de milliers de Boliviens et Péruviens, a lieu dans les rues de la petite ville. Copacabana est en ébullition : partout, on joue de la musique, on danse et on boit énormément de bière et de chicha (boisson alcoolisée à base de maïs fermenté). Les prières des fidèles s’adressent à la Vierge ou à la Pachamama, la Terre-Mère, en une étonnante appropriation du culte chrétien. Comme on est fin novembre, nous devrons malheureusement nous résoudre à imaginer cette fête au lieu de la vivre. Quant à la Vierge, elle est conservée scrupuleusement mais visible à l’intérieur de la cathédrale. En effet, selon les croyances locales, si elle venait à bouger de son sanctuaire, un désastre ne tarderait pas à s’abattre sur Copacabana!

La ville de Copacabana est aussi le théâtre d’une amusante cérémonie que nous n’aurons pas non plus la chance d’immortaliser : la bénédiction des véhicules à moteur. Une fois par an, toute sorte de véhicules, de la voiture personnelle au bus municipal, viennent recevoir la bénédiction d’un prêtre et un commerce de décorations diverses a vu le jour à Copacabana pour accompagner cette cérémonie : guirlandes colorés, confettis, banderoles sont ainsi disposées à l’avant ou sur le capot des véhicules, juste avant que le prêtre n’arrose de son eau bénite le véhicule, moteur inclus!

Mais revenons sur notre arrivée : après avoir déposé nos sacs dans une chambre d’hôtel économique, et pris une rapide douche dans une salle de bain inondée en environ 5 secondes d’écoulement de l’eau (non Papa, je t’assure que je n’ai pas laissé longtemps l’eau couler!), nous partons déjeuner et Magda choisit judicieusement de gouter une truite du lac, qui ont grande réputation. Lors de découvertes culinaires, j’ai généralement tendance à moins me tromper qu’elle, ce qui me fait rigoler à tous les coups, mais aujourd’hui, elle a eu une divine inspiration (sans doute l’effet de la vierge de Copacabana) et j’ai dû me contenter d’une vulgaire et insipide escalope milanaise. Nous passons le reste de l‘après-midi à nous promener entre les rues poussiéreuses du port et les stands d’artisanat de l’artère principale. L’ambiance est hippie à souhait, le soleil brille, le ciel est bleu azur et l’eau du lac Titicaca, bleu marine.

Le lendemain matin, nous embarquons dès 8h30 sur un petit bateau en bois direction « l’Isla del Sol », située sur le Titicaca, à 2 heures de navigation et pourtant pas si loin que ça. Heureusement que le paysage est chouette car à la vitesse à laquelle ces rafiots naviguent, on a vraiment le temps de l’admirer! L’île du Soleil, longue d’une dizaine de km, possède 2 ports, l’un au nord et l‘autre au sud, reliés par un chemin de crête. Nous avons opté pour une traversée de l’île Nord-Sud et notre bateau accoste donc au port de Challapampa, duquel nous marcherons quelques heures pour rejoindre celui de Yumani, au sud. Dès notre arrivée, on commence par nous faire passer à la caisse pour acheter notre droit d’entrée et l’accès aux ruines de l’île ainsi qu’à un micro-musée que nous décidons de ne pas visiter : avec un temps pareil, pas question d’aller s’enfermer! Depuis Challapampa, nous commençons à marcher en évoluant vers l’extrême pointe nord de l’île où se situe l’un des sites archéologiques les plus remarquables. À l’époque des Incas, l’île était un sanctuaire. Il s’y trouvait un temple avec des vierges dédiées au dieu Soleil ou Inti. C’est de là que provient le nom de l’île. Naturellement, nous nous retrouvons dans un petit groupe de marcheurs emmenés par un habitant de l’île à la peau ridée et au teint sombre, qui guide la troupe et ponctue la marche avec des informations sur la végétation, le mode de vie, les us et coutumes sur l’île du Soleil. En une demi-heure, nous arrivons au supposé lieu de naissance de l’univers inca! Notre attendrissant guide, dont l’âge doit allègrement dépasser les 70 ans, nous parle avec un respect visible et marqué, de ce lieu de pérégrination et insiste à plusieurs reprises pour que nous ayons tous « un peu de foi et de compréhension ». Un peu mystique, mais le moment est beau, l’homme intéressant, authentique et tout cela semble important pour lui. On admire donc la Roche Sacré ou Roche des Origines, le lieu exact qui, selon la légende, a vu naître les deux premiers incas (Manco Cápac et Mama Ocllo) qui se virent confier la mission et la responsabilité de la création du nombril du monde : Cuzco (cf. article sur Cuzco). On nous propose même, sans trop de lourdeur cette fois, de nous recueillir quelques instants au contact de la roche pour ressentir sa force. Notre guide se sépare du groupe après la visite des ruines de « Chinkana », construction de type « labyrinthe » probablement utilisée pour les moments de méditation ou d’initiation des fidèles au culte du soleil, puis du supposé lieu de résidence des « vierges du soleil », appelé « Ajlla Wasi » ou « Maison des élues vierges du soleil ». Une visite authentique et un guide touchant, je garde un bon souvenir de cette arrivée sur l’île du Soleil.

Ensuite, nous entamons la marche de 8 à 10 km pour rejoindre le sud de l‘île. La route à suivre est un chemin de crête au milieu de l’île qui traverse des paysages arides et offre régulièrement des points de vue sur de petites criques désertes, sur la Cordillère Royale de Bolivie au loin (concurrente de la Cordillère Blanche au Pérou) dont les sommets enneigés dépasse les 6000 m, et sur l’immensité des eaux du lac le plus haut du monde.

Cet exceptionnel environnement attire de plus en plus de touristes et le revers de la médaille est que les habitants de l’île semblent en vouloir tirer « trop visiblement » profit. Entre l’arrivée au nord de l’île et le retour depuis le sud, on vous prend en otage 3 fois pour payer un « droit de passage » dans chacune des municipalités traversées par le sentier. Quand il s’agit de payer pour un service rendu, pas de problème, mais quand il s’agit de payer pour « avoir le droit de continuer son chemin » et que vous n’avez de toute façon pas le choix puisque vous êtes au milieu d’une île, en plein milieu du lac Titicaca, ça commence à s’approcher du racket et c’est autrement plus agaçant, surtout si vous n’avez pas été prévenu. Nous ne nous sommes pas privés pour l’exprimer ainsi à chacun des « checkpoints » même si peu d’espoir que cela change. Si encore ces recettes étaient redistribuées équitablement entre les familles habitantes sur l’île ou bien utilisées pour l’éducation des plus jeunes, mais je n’en ai franchement pas la certitude.

Enfin, nous arrivons au port de Yumani, par un sentier emprunté par les locaux pour acheminer à dos de mulet, les vivres et stocks pour les différentes auberges et hôtels du sud de l’île. En deux heures de navigation sous un soleil radieux, nous rentrons à Copacabana où nous terminons la soirée par une ballade « digestive » au bord du lac.

Le lendemain, nous prenons la direction de La Paz, située à trois heures de bus de Copacabana, par une jolie route qui passe notamment par le détroit de Tiquina. A San Pedro de Tiquina, tout le monde descend du bus, qui est embarqué sur une barge à fond plat dont la flottaison est miraculeuse, pour effectuer la traversée du détroit, d’à peine 1 km de long, pendant que les voyageurs empruntent, eux, une embarcation un peu plus décente. Je ne serai pas étonné d’apprendre que les eaux du détroit retiennent quelques épaves de véhicules qui n’ont jamais atteint l’autre rive du lac. C’est sur cette mémorable traversée que s’achève notre séjour au bord du lac Titicaca que nous côtoyons depuis notre arrivée à Puno.

Puno et Les Uros

Notre dernière étape péruvienne, avant de continuer en direction de la Bolivie, se situe sur les bords du lac Titicaca, un endroit où plusieurs mondes se heurtent : l’altiplano désolé rencontre les sommets mythiques et les vallées fertiles des Andes, des îles verdoyantes et ensoleillées contrastent avec de petites exploitations fermières en butte aux rudesses du climat et des villages au mode de vie séculaire côtoient les excès de la marchandisation internationale.

Affairée et joyeusement oppressante, Puno, 120 000 habitants, située à 3830 m d’altitude, constitue pour beaucoup, une étape pratique entre Cuzco ou Arequipa et La Paz, ainsi qu’un point de départ pour bon nombre d’excursions sur le lac Titicaca. Coincés dans les rues étroites et congestionnées, voitures, camions, bus, mototaxis et « triciclos » progressent dans Puno par à-coups tandis que les piétons se serrent sur des trottoirs microscopiques. Puno est décrite dans le Lonely Planet comme une cité moderne, carrefour des échanges entre le Pérou et la Bolivie, résolument tournée vers le commerce et l’avenir. Admettons qu’elle soit un carrefour important de commerce, il me semble en revanche un peu optimiste de la décrire comme une « cité moderne, résolument tournée vers l’avenir ». Elle est réputée capitale du folklore du Pérou, ses processions de la Virgen de la Candelaria, étant retransmises à la télévision nationale, mais nous n’aurons malheureusement pas la chance de vivre ce moment de fête, notre passage ne coïncidant pas avec le calendrier des fêtes religieuses.

Nous visitons donc Puno dans la matinée du 21/11/2013, en commençant, bien sûr, par la Plaza de Armas et la cathédrale, de style baroque, à la façade travaillée et l’intérieur dépouillé, puis traversons la « Casa del Corregidor », l’une des plus anciennes demeures de Puno, datant du XVIIème siècle, abritant aujourd’hui un centre culturel, une galerie d’art, une librairie et un café-bar attirant expatriés et artistes locaux. Nous décidons ensuite de monter au « Mirador del Condor », qui récompense la grimpée abrupte par un beau panorama de Puno et de l’immense lac Titicaca. En redescendant vers le centre, nous partageons une bouteille d’Inca Cola, le soda péruvien qui appartient à l’américain Coca-Cola, puis nous arrêtons quelques minutes pour discuter avec les « notaires de la rue », qui ont annexés un trottoir du centre de Puno pour assister les illettrés et les moins éduqués dans la réalisation de tâches administratives.

Après un repas pris dans une des « cantines » du centre (ce sont des restaurants proposant un menu à prix fixe, et très économique, presque toujours composé d’une soupe puis d’un second plat souvent à base de poulet et de riz), nous nous dirigeons vers le port de Puno pour emprunter l’un des nombreux bateaux qui rejoignent les extraordinaires îles flottantes « Los Uros », la principale attraction touristique du lac Titicaca. Elles sont fabriquées avec des roseaux légers appelés « totora » qui poussent en abondance dans les bas-fonds du lac, par ajouts successifs en surface de couches de totora à mesure que les couches inférieures pourrissent. Le sol reste ainsi toujours souple et élastique. La vie des Uros est indissociable de ces plantes, en partie comestibles, qui servent aussi à fabriquer leurs maisons, leurs bateaux et une majorité de l’artisanat vendu aux touristes. Le métissage avec des Indiens de langue aymara a entrainé la disparition des Uros de pure souche et de leur langue, ce petit peuple qui entama cette inhabituelle existence il y a des siècles afin de se protéger des agressions des autres tribus indiennes comme les Colla et les Incas.

La popularité croissante des îles a entrai une commercialisation effrénée ainsi que des controverses sur leur authenticité : de nombreux Puneños affirment que les insulaires passent en réalité la nuit sur le continent et non plus sur les îles flottantes, ce qui est à moitié admis par les représentants de la communauté accueillant les touristes de façon quotidienne sur les îles, les insulaires souffrant de plus en plus de rhumatismes aigus à cause de l’humidité permanente.

En fin d’après-midi, de retour sur la terre ferme, un orage d’une rare violence s’abat sur Puno, nous contraignant dans un premier temps à nous abriter sous le porche d’une boutique puis à emprunter un taxi pour rejoindre l’hôtel. Cela ne suffira pourtant pas à empêcher que nous terminions trempés jusqu’aux genoux, en l’espace de quelques secondes, due à la nécessaire traversée du « torrent » qui s’est soudainement créé sur la chaussée. Il m’aura fallu plus d’une heure de sèche-cheveux pour ne même pas complètement réussir à sécher nos affaires !

Canyon de Colca, sans guide

L’excursion dans le « Cañon del Colca » (Canyon de Colca) est la plus pratiquée au départ d’Arequipa, même si la région offre bien d’autres activités de plein air comme l’ascension du volcan El Misti ou du rafting dans le canyon du Majes.

Par nos différentes rencontres et quelques recherches avisées auprès de l’ami « Google », nous nous sommes rendu compte que nous pouvions sans difficulté entamer cette excursion sans recourir aux services d’un guide.

Le 16/11/2013 en début d’après-midi, nous montons dans un bus local de la compagnie « El Señor de los Milagros » (pas complètement rassurant ce nom), qui doit nous emmener en 6 heures environ jusqu’au village de Cabanaconde, une paisible localité rurale de 2700 habitants, située à presque 3300 m. d’altitude, base de départ idéale pour entreprendre la plupart des randonnées offertes par le Canyon de Colca. La route pour rejoindre Cabanaconde depuis Arequipa est longue mais vaut la peine d’être vue de jour. Elle commence par grimper vers le nord-est, passe devant El Misti et le Chachani puis traverse la réserve nationale « Salinas y Aguada Blanca », qui couvre près de 370 000 ha de terrain à une altitude moyenne de 4300 m. et dans laquelle trois des quatre espèces de la famille des camélidés sud-américains font partie du paysage : vigognes, alpagas et lamas. La quatrième, le guanaco, a quasi disparu de la région. Au-delà de la réserve, la route, de plus en plus cahoteuse, traverse un haut plateau aride et grimpe jusqu’à 4800 m. avant de plonger en lacets de façon spectaculaire vers Chivay, la capitale de la province de Caylloma, en définitive, une bourgade poussiéreuse à l’entrée du canyon, qui sert de plaque tournante pour les transports et voit passer des vagues de touriste en circuit organisé arrivant d’Arequipa. C’est aussi à Chivay que la municipalité ou le syndicat du canyon va profiter d’une pause du bus pour vous ponctionner 70 sols par personne pour le « boleto turistico », sésame indispensable pour accéder à la plupart des sites du canyon. Il parait que la moitié des recettes revient à la municipalité d’Arequipa qui utiliserait l’argent pour l’entretien et la conservation des sites locaux (le gars qui a la responsabilité d’entretenir les chemins de randonnée du canyon n’a pas du mettre les pieds dans le canyon depuis un petit bout de temps, dans ce cas), l’autre moitié allant à l’agence nationale du tourisme. Enfin, entre Chivay et Cabanaconde, la route longe la rive sud du canyon et traverse plusieurs villages qui utilisent toujours les terrasses incas environnantes.

Le 17/11/2013 de bonne heure, après une nuit de repos à l’auberge Pachamama Backpacker Hostal, une bonne adresse pour faire étape à Cabanaconde, nous entamons donc la descente dans le fameux Canyon de Colca, avec pour objectif le minuscule village de Sangalle (surnommé « l’oasis ») situé tout a fond du canyon et servant d’étape de nuit pour la plupart des randonneurs. Le circuit que nous avons choisi d’emprunter passe par plusieurs micro-villages du canyon et fait une vingtaine de km jusqu’à Sangalle.

Avec une longueur de 100 km et une profondeur qui varie entre 1000 m. et plus de 3000 m, le Canyon de Colca a été sujet à une controverse qui a fait rage des années durant : avec ses 3191 m., était-il le canyon le plus profond du monde ? On sait depuis peu qu’il arrive en deuxième position derrière son voisin, le Cañon del Cotahuasi, qui le bat de 150 m. Ils sont toutefois au moins deux fois plus profonds que le Grand Canyon du Colorado, et pourtant bien moins impressionnants. Malgré sa profondeur, la Canyon de Colca est récent à l’échelle des temps géologiques. Les eaux du Colca ont creusé des roches essentiellement volcaniques déposées il y a moins de 100 millions d’années le long d’une immense faille de la croûte terrestre. Même si nous n’avons pas eu la chance d’en apercevoir, il n’est pas rare de pouvoir observer des condors planant dans les courants d’air ascendants générés par la profondeur de la vallée couplée à un temps ensoleillé. Les habitants de la région descendent de 2 groupes ethniques rivaux et se distinguent par la forme de leurs chapeaux et à leurs vêtements traditionnels aux broderies élaborées. Le Lonely Planet prévient que les femmes de la région ne se laissent prendre en photo qu’en échange d’un pourboire : nous confirmons !

Alors que le temps de marche annoncé est de 7 heures environ, nous atteignons l’oasis de Sangalle à 12h pile, en 4h30 de marche (super fier de ma chérie) ce qui nous laisse tout l’après-midi pour nous prélasser au bord de la jolie piscine de l’auberge que nous choisissons pour passer la nuit. Tout au fond du canyon, la végétation contraste fortement avec celle de la région : elle est presque tropicale avec ses palmiers, fougères et orchidées dans certains coins isolés. Après une bonne randonnée, l’oasis de Sangalle est un vrai petit coin de paradis, reposant à souhait.

Le lendemain matin, c’est un rude trek de 3h qui nous attend pour rejoindre à nouveau Cabanaconde et que nous réalisons de bonne heure pour éviter la chaleur. Nous arrivons à Cabanaconde en milieu de matinée avec un peu d’avance pour reprendre un bus direction Arequipa qui va, cette fois, mettre pratiquement 8 h au lieu de 6 à cause d’une crevaison, probablement résultat du mauvais état de la route et de cette fâcheuse tendance qu’ont les compagnies locales à charger leurs bus au moins 2 fois plus que la capacité maximum d’accueil. Au vu du nombre de passagers au retour et la dangerosité de la route, « El Señor de los Milagros » porte bien son nom !

Arequipa

Le 13/11/2013, nous quittons donc Cuzco par un bus de nuit (oui, encore un, et on n’a pas fini d’en « bouffer ») ver le sud du Pérou, en direction d’Arequipa et la région des canyons. A notre arrivée a terminal, la compagnie CIVA, auprès de laquelle nous avons acheté 2 sièges confortables, nous fait en plus un appréciable cadeau : on nous surclasse sans augmentation de prix, ce qui nous permet de bénéficier de « fauteuils – couchettes » inclinables à 180°. Ah ben voilà, dans ces conditions, on peut dormir dans un bus !

Le lendemain, la superbe cité d’Arequipa nous ouvre ses portes. Située à 2350 m. d’altitude, au cœur de l’une des régions les plus sauvages du Pérou, territoire de volcans enneigés toujours en activité, de déserts de très haute altitude, de sources chaudes, de lacs salés et de profonds canyons, nulle autre ville dans le sud du pays n’offre ainsi l’opportunité de profiter autant de la vie citadine que des activités de plein air.

Des découvertes archéologiques attestent la présence d’Indiens Aymara, originaires de la région du lac Titicaca, avant la période inca. Certains chercheurs pensent que la ville leur doit son nom (« ari » signifiant « sommet » et « quipa » signifiant « situé derrière » en aymara); Arequipa serait donc « l’endroit derrière le sommet » d’El Misti, un volcan de 5822 m. qui domine la ville. Par ailleurs, une légende affirme que le quatrième roi inca, Mayta Cápac, émerveillé en découvrant cette vallée, aurait ordonné à sa suite de s’arrêter en disant : « Ari, quipay » littérallement « Oui, restons! ». Les Espagnols redécouvrirent la ville entre 1530 et 1540, à la suite de quoi la deuxième ville du Pérou connut une destinée riche en tragédies : elle fut en effet entièrement détruite par des séismes et des éruptions en 1600, avant d’être secouée par des tremblements de terre presque une fois par siècle jusqu’au dernier séisme remontant seulement à 2001. En raison de cette menace permanente les constructions sont basses, ce qui leur permet une plus grande stabilité. Malgré ces calamités répétées, bon nombre de superbes édifices historiques subsistent. Ceux de l’époque coloniale, bâtis en sillar, une roche volcanique claire qui scintille au soleil, lui valent le surnom de Ciudad Blanca (Ville Blanche) ; les Arequipeños se plairaient à dire que la Lune a oublié d’emporter la ville lorsqu’elle s’est séparée de la Terre.

Le charme d’Arequipa réside aussi dans l’épicurisme de ses habitants amateurs de bonne chère, de belles choses et de vie nocturne. Le cœur de la ville bat à un rythme effréné, et les rues reflètent un Pérou moderne, accueillant une foule bigarrée d’artistes, de banquiers, de vendeurs ambulants, d’étudiants et de religieuses etc. Les Arequipeños, fiers et friands de débats, expriment régulièrement leurs convictions politiques par des manifestations sur la Plaza de Armas. Ils tiennent tant à affirmer leur indépendance intellectuelle par rapport à Lima qu’ils ont un temps conçu leur propre passeport et drapeau.

Dès nos premiers pas dans le centre-ville, je tombe complètement sous le charme ! Le climat, la lumière, l’architecture et les couleurs me rappellent immédiatement la magnifique andalouse Séville dont je reste secrètement amoureux (enfin, en seconde position, après ma tendre estrémègne bien sûr). La cathédrale et les bâtiments en sillar, avec leurs balcons à colonnades, ornant la Plaza de Armas, renvoient une lumière à couper le souffle, spécialement vers la fin de la journée, à l’heure où le soleil se couche. L’histoire de la cathédrale, derrière laquelle se dresse majestueusement le volcan Misti, témoigne de l’opiniâtreté des habitants : l’édifice d’origine (1656) fut détruit par un incendie en 1844. Reconstruite, la cathédrale fut presque totalement rasée par le séisme de 1868, puis de nouveau rebâtie. Enfin, le séisme de 2001 eut raison de l’une des énormes tours, tandis que l’autre gîtait dangereusement. De nouveau, le monument retrouva son lustre fin 2002. Cette cathédrale est la seule église du pays à occuper une place sur toute sa longueur. Moins de 100 basiliques dans le monde sont autorisées, comme elle, à déployer le drapeau du Vatican, disposé à droite de l’autel. Enfin, pour anecdote, les orgues, offertes par la Belgique en 1870 et qui seraient les plus grandes d’Amérique du Sud, ont été abîmées durant le transport et ont sonné faux pendant plus d’un siècle.

L’église jésuite à l’angle sud-est de la Plaza de Armas, l’une des plus anciennes d’Arequipa, est quant à elle renommé pour sa façade finement ornementée et son autel sculpté de style churrigueresque entièrement recouvert de feuilles d’or : attention, c’est chargé ; si on n’aime pas le baroque, alors mieux vaut passer son chemin!

Le musée sanctuaire de Juanita, ou “Museo de la Universidad Católica de Santa María”, de son nom officiel, présente d’après tous les guides touristiques le corps gelé de « Juanita, princesse des glaces », une jeune inca sacrifiée voici plus de 500 ans au sommet du Nevado Ampato, un autre volcan enneigé proche d’Arequipa.

En 1995, Miguel Zárate persuada l’alpiniste-archéologue américain Johan Reinhard de l’accompagner pour une expédition sur le Nevado Ampato, afin de confirmer la présence d’un site funéraire qu’il pensait avoir découvert trois années auparavant. Des éruptions récentes d’un volcan voisin ayant projeté une couche de cendres sur le site et fait fondre la neige, permettent à l’équipe de trouver d’abord une statue et des offrandes, puis, en suivant le tracé de rochers volontairement poussés dans la pente, la momie d’une jeune inca qui avait dévalé la montagne lorsque sa sépulture s’était dissoute. Grâce aux basses températures, le corps de la jeune inca, qui avait été enveloppé, était demeuré presque intact pendant quelques 500 ans ! Il fut évident, d’après l’emplacement de la tombe et le cérémonial qui avant entouré son décès que cette adolescente de 12 à 14 ans avait été sacrifiée au sommet du volcan. Les incas, qui vénéraient les montagnes comme des divinités, offraient ponctuellement des sacrifices humains, en particulier des enfants, pour se prémunir des éruptions volcaniques, des avalanches et des catastrophes climatiques. Au total, ce sont plus de 20 victimes de sacrifices incas qui ont été retrouvées sur les sommets des montagnes andines depuis les années 1950.

Alors que l’histoire de la découverte de cette momie est passionnante, le Musée est, quant à lui, décevant : la visite, très rapide, se fait obligatoirement avec un guide qu’il faut rémunérer en plus du ticket d’entrée au musée et les pièces présentées, des fragments de tissus ou des objets découverts à proximité de la sépulture ne présentent pas un intérêt exceptionnel. Enfin la visite se termine, d’après nos recherches postérieures à notre passage, par la présentation de la momie d’une autre enfant sacrifiée, découverte dans les montagnes alentour, conservée dans une chambre froide vitrée, étroitement surveillée, et dans une obscurité presque totale. Si ce n’est pas prendre le touriste pour un abruti, alors expliquez-moi !

Pour finir, le monastère de Santa Catalina, décrit dans le Lonely Planet comme l‘un des édifices religieux coloniaux les plus extraordinaires du pays, est en effet une petite merveille. Entouré de hautes murailles, il occupe une « cuadra » (pâté de maisons) entière, formant presque, avec ses 20 000 m2, une citadelle au cœur de la ville. C’est un lieu déconcertant qui plonge le visiteur dans un monde oublié de passages sinueux, de cellules spartiates, d’art religieux et de mobilier d’époque des plus photogéniques.

Ce monastère fut construit en 1580 par une veuve fortunée qui sélectionnait soigneusement les nonnes, n’acceptant que les jeunes filles issues des meilleures familles espagnoles qui lui rapportaient une dot substantielle. Selon la tradition, les cadettes des familles aristocratiques entraient au couvent pour renoncer aux biens de ce monde, mais, à Santa Catalina, chacune disposait d’une à quatre servantes ou esclaves (généralement noires), conservant leur train de vie en invitant des musiciens et en organisant régulièrement des réceptions (elle a bien changé l’Eglise catholique!). Après trois siècles, justement, le pape Pie IX chargea  sœur Josefa Cadena, une dominicaine austère, de restaurer la discipline. Celle-ci renvoya les aristocrates en Europe et libéra les nombreuses servantes et esclaves, dont beaucoup restèrent e tant que religieuses. A compter de cette époque, le monastère s’enveloppa de mystère jusqu’à son ouverture au public, en 1970, lorsque le maire d’Arequipa l’obligea à se moderniser. Aujourd’hui, quelques 30 religieuses continuent de mener une vie recluse dans les bâtiments nord, le reste du monastère étant ouvert au public.

Le premier cloître, appelé cloître des novices marquait la limite au-delà de laquelle les futures religieuses devaient se taire et se consacrer au travail et à la prière. Au bout de 4 ans de noviciat, au cours desquels la famille payait une dot annuelle de 100 pièces d’or, elles pouvaient choisir de prononcer leurs vœux ou de quitter le couvent, souvent au risque de jeter l’opprobre sur leur parentèle. Celles qui restaient passaient ensuite dans le cloître orange, baptisé ainsi à cause de ses orangers représentant le renouveau et la vie éternelle. Depuis ce cloître, on passe dans la chambre mortuaire dans laquelle la communauté veillait les sœurs défuntes. Les artistes disposaient de 24 heures pour peindre leurs portraits qui ornent les murs, car il n’était pas question de les immortaliser de leur vivant. Les religieuses étaient logées seules ou à plusieurs, avec leurs servantes, dans des cellules dont le luxe était fonction de la fortune des occupantes. C’est en visitant la cuisine commune, sombre et à l’odeur de renfermé que je perds finalement trace de Magda. Je termine donc seul la visite du monastère par la cellule de la célèbre Sor Ana, connue pour l’exactitude de ses prédictions et les miracles qu’elle aurait accomplis jusqu’à sa mort en 1686 puis par le grand cloître, bordé de part et d’autre par la chapelle et la galerie d’art, qui faisait autrefois office de dortoir.

Arequipa est une ville qu’on ne quitte pas facilement tant elle éblouit par sa beauté et nous sommes ravis d’y revenir dans quelques jours après notre prochaine aventure : un trek dans le Canyon de Colca.

Pisac

Avant de quitter la Vallée Sacrée, et maintenant que nous sommes rentrés à Cuzco, la forteresse inca perchée sur un piton rocheux au-dessus du village colonial de Pisac, à une trentaine de km de Cuzco, est donc le dernier site d’intérêt que nous décidons d’aller visiter, en compagnie de nos nouveaux amis, Ruben et Rosa, desquels nous sommes devenus inséparables.

Le 13/11/2013, après un copieux petit-déjeuner continental, nous empruntons un bus local pour rejoindre le spectaculaire site de Pisac, qui attire assez peu de touristes, hormis ceux qui arrivent en circuits organisés. Pisac est célèbre pour ses cultures en terrasses, qui forment de grandes courbes gracieuses sur les flancs de la montagne dominant la ville. Entre les terrasses, les escaliers sont rares car ils demandent beaucoup d’entretien et accentuent l’érosion. Les différents niveaux sont donc reliés par des pierres proéminentes disposées en diagonale dans les murs. La majeure partie des ruines se concentrant dans la partie haute de la montagne, nous optons, à notre arrivée à Pisac, pour un transport en taxi jusqu’au sommet et redescendrons donc jusqu’au village à pied, par un sentier de randonnée qui traverse les différents vestiges à visiter en deux heures de marche environ.

A la réflexion, il aurait été sans doute plus judicieux de visiter Pisac et de terminer par Machu Picchu (à l’instar de ce que nous avons fait en Inde, en visitant le Taj Mahal à la fin), mais le calendrier en a voulu autrement. On retrouve en effet beaucoup d’éléments communs dans chacun des sites incas de la Vallée Sacrée et on est donc forcément moins impressionné lorsqu’on a déjà vu une demi-douzaine de sites archéologiques dont le sacrosaint Machu Picchu. A Pisac, on retrouve donc au sommet des terrasses, le centre cérémoniel, composé d’un Intihuatana (un instrument inca d’observation astronomique également présent à Machu Picchu), de plusieurs canaux en état de fonctionnement et de temples variés et bien préservés. On retrouve également un ensemble de bains cérémoniels, liés au culte inca de l’eau (plus nombreux qu’à Tambomachay). Une originalité de Pisac est une zone malheureusement interdite d’accès aux touristes : à l’arrière des terrasses, une falaise est criblée de centaines de trous qui sont d’anciennes sépultures incas pillées par des « huaqueros » (pilleurs de tombes) postérieurement à la période de domination des incas.

A notre arrivée au village, après une pause déjeuner dans le centre-ville, nous traversons le marché d’artisanat de Pisac, de loin le plus grand de la région et le plus touristique, sans toutefois nous laisser tenter par les produits proposés, que l’on retrouve, identiques, dans presque toutes les destinations touristiques péruviennes.

Le même soir, il est temps pour nous de quitter la Vallée Sacrée et de nous séparer, non sans un peu d’émotion, de nos compagnons de voyage avec qui nous avons partagés de très bons moments. Leur compagnie aura véritablement égayé notre séjour en Vallée Sacrée. Nous nous reverrons, sans nul doute ! Un abrazo y hasta pronto chicos !