Salta

Si vous nous suivez assidument, vous vous demanderez légitimement comment nous pouvons être en Argentine le 08/12/2013 alors qu’on nous a déposés à la frontière de la Bolivie et du Chili hier en début de journée. La réponse pourrait être « l’avion » mais il n’en est rien ! Nous aurions pu choisir de terminer notre excursion dans le Salar d’Uyuni et le Sud-Lípez à l’endroit où elle a commencé, à Uyuni, puis prendre un bus plein sud direction la frontière Bolivie – Argentine, pour rejoindre notre prochaine destination, Salta, dans le Nord-Ouest du pays de Maradona. Mais le dernier jour de l’excursion, dans ce cas, ne présente que peu d’intérêt car il consiste en un long trajet de 6 à 7 heures de route, pour remonter vers le Nord jusqu’à Uyuni, alors que les geysers et lagunes au programme de la matinée du 3ème jour de l’excursion ne se situent qu’à quelques kilomètres seulement du poste frontière Bolivie – Chili, d’où l’on peut rejoindre, en moins d’une heure de bus, la minuscule mais néanmoins très touristique oasis de San Pedro de Atacama, située au milieu du désert d’Atacama, à la pointe Nord-Est du Chili. C’est ce que nous avons décidé de faire au moment d’acheter l’excursion à Uyuni. Notre itinéraire initial prévoyait que nous passions un peu de temps au Chili en y rentrant par le Nord puis en descendant jusqu’à Santiago. Nous n’irons pas à Santiago et avons finalement décidé de passer plus de temps en Argentine, en ajoutant du coup une étape en Patagonie, non prévue au départ – décision qu’on ne regrettera pas ! Malgré cela, il nous a paru plus logique de passer par San Pedro, et d’y rester 24h, avant de tirer plein Est vers Salta, en Argentine, afin de nous éviter une journée de voiture et un retour sur nos pas vers Uyuni « City », qui ne présente absolument aucun intérêt.

En quelques mots avant de parler de l’Argentine et de sa région Nord-Ouest, ce (très) court séjour en terre chilienne, nous permet de vérifier le prévisible et perceptible contraste qui existe entre la Bolivie et le Chili. Les premiers km en bus entre la frontière et San Pedro suffisent à le mettre en évidence : à peine assis, on vient nous distribuer et nous commenter les différents papiers administratifs que nous devons compléter avant d’arriver à San Pedro où se fait officiellement l’entrée au Chili, puis durant le trajet, qui s’effectue sur une route asphaltée en état irréprochable, le chauffeur commente la géographie alentours (les noms des sommets, la dénivelée prévue – nous allons descendre de plus de 2000 m par une route toute droite, un vrai toboggan -, une introduction à San Pedro etc). La différence d’expérience dans la façon de recevoir les touristes est flagrante. Cet accueil et cette organisation se ressentent aussi dans le coût de la vie (on s’y attend), incomparablement plus élevé que chez les voisins boliviens. A San Pedro, les nombreuses agences de voyage refourguent d’ailleurs, entre autres excursions, le même circuit que celui que nous venons de réaliser dans le Salar d’Uyuni et le Sud Lípez, mais au tarif « chilien ». Sans être la plus mémorable étape de notre itinéraire, cette pause intermédiaire dans le mignon village de San Pedro fait une logique transition avec la suite : l’Argentine.

Bienvenue dans le pays de la viande, du tango et du célébrissime Diego Armando Maradona. Classée en seconde position, derrière le Brésil, sur le podium des plus grands pays d’Amérique du Sud, l’Argentine présente une superficie totale de 2,8 Millions de km2  (la 8ème au monde), soit plus de 4 fois la superficie de la France, un gigantesque territoire sur lequel vivent quelques 41 Millions d’Argentins. Elle partage ses frontières avec 5 pays latino-américains : le Chili à l’ouest, la Bolivie au nord-ouest, le Paraguay au nord, le Brésil et l’Uruguay au nord-est et enfin avec l’océan Atlantique à l’est et à l’extrême sud. Au vu de la longueur, 3700 km du Nord au Sud (du 22° parallèle jusqu’au 55° parallèle), et des différences d’altitude (de -100 m à presque 7 000 m) du pays, une énorme variété de climats coexistent. Le Gran Chaco et ses plaines sèches, au nord, présentent des saisons sèches et humides, permettant l’élevage de bétail et la culture du coton. L’Ouest de l’Argentine est dominé par l’imposante cordillère des Andes, bordée à l’Est par une région aride appelée Cuyo, permettant la viticulture et l’agriculture grâce à l’irrigation de la zone par l’eau descendant des reliefs alentours. La « Pampa », au centre et à l‘Est, recouvrant la plupart des provinces de Buenos Aires, de Córdoba et Santa Fe, concentre la population et la production du pays, ceci s’expliquant par le climat tempéré à quatre saisons qui y règne. Enfin, la Patagonie, région la plus froide du pays, est un territoire tellement grand que le climat varie énormément d’un endroit à l’autre : il est extrêmement sec mais assez modéré sur la côte Atlantique, très sec et rigoureux au centre, et très humide et un peu moins rigoureux dans les vallées des Andes, où l’air du Pacifique pénètre dans le continent, balayant les immenses lacs et forêts de la région de Bariloche, par exemple. Le plus haut sommet de la cordillère des Andes, surnommé le « colosse de l’Amérique », se retrouve en Argentine, au cerro Aconcagua, qui culmine à pratiquement 7000 mètres. Parmi les plus hautes montagnes des Andes, une importante proportion se trouve en Argentine. Le point le plus bas des Amériques se trouve aussi dans ce pays, dans la province de Santa Cruz : la Laguna del Carbon.

En Argentine, fini les langues indiennes ancestrales, ici on parle un espagnol moins guttural que le castillan de la péninsule ibérique, où les sonorités chuintantes ont remplacé la difficile prononciation de la « ll » espagnole. L’Argentine est l’un des pays les plus développés du continent latino-américain: c’est troisième puissance économique d’Amérique latine après le Brésil et le Mexique. La religion nationale est le catholicisme et c’est aussi le pays d’Amérique latine où la culture européenne est la plus affirmée.

On sait assez peu de choses sur l’époque précoloniale en Argentine si ce n’est que de nombreuses tribus indigènes indépendantes des quechuas, incas et guaranis présents au Nord-Ouest du continent, venant plus probablement des peuples sibériens (ayant passé le détroit de Béring), occupaient le territoire jusqu’à l’arrivée des colons, mais ne développèrent jamais une civilisation marquante. En 1516, l’Espagnol Juan Díaz de Solís débarqua en Amérique du Sud au niveau de l’estuaire du Rio Uruguay et du Rio Paraná, qui fut très vite nommé « Rio de la Plata » (rivière d’argent) par les Espagnols car ils crurent que la rivière menait à la « Sierra del Plata », un trésor légendaire d’argent (à l’instar du « Cerro Rico » de Potosí), trouvant probablement son origine quand des survivants d’un naufrage reçurent des objets en argent offerts par les autochtones et censé se situer plus en amont sur la rivière. Le nom de l’Argentine provient d’ailleurs de cet épisode de l’histoire : le pays fut nommé « Argentum », au XVIème siècle, par les conquistadors venus chercher ce mythique trésor, qu’ils ne trouvèrent jamais. Ils se tournèrent donc vers l’agriculture et l’élevage de bovins, chassant puis exterminant la totalité des indigènes qui peuplaient alors ces terres arides. Même si la colonisation espagnole eut lieu plus tard en Argentine que dans le nord du continent latino-américain, il ne reste pourtant aujourd’hui plus aucune tribu indigène dans cette partie du continent.

A l’aube du XIXème siècle, des mouvements d’opposition contre la métropole espagnole apparurent, après avoir repoussé deux expéditions militaires anglaises, car les Argentins durent se défendre seuls contre un ennemi autrement mieux armé et bien décidé à les recoloniser. L’Argentine proclama ensuite son indépendance vis-à-vis de l’Espagne le 25 mai 1810 lors de la révolution de Mai, indépendance définitivement acquise le 9 juillet 1816 à San Miguel de Tucumán. Plusieurs années de guerre contre l’Empire espagnol furent néanmoins nécessaires aux Argentins pour se séparer définitivement de l’emprise des Bourbons. Les généraux José de San Martín, Manuel Belgrano et Martín Miguel de Güemes, entre autres, matèrent toute velléité espagnole de reprendre la colonie. Au commandement d’une armée d’environ 4 000 soldats, San Martin réalisa une campagne prodigieuse en traversant la Cordillère des Andes, infligeant des défaites cruciales à l’armée espagnole, notamment à Maipú, près de Santiago du Chili, où les Argentins détruisent définitivement l’armée royaliste stationnée au Chili.

Revenons maintenant à notre aventure : douze heures de bus après un départ matinal de San Pedro le 08/12/2013 et nous arrivons en début de soirée à Salta (me concernant, la mauvaise humeur a pris le dessus sur la patience, et je suis insupportable aux dires de Magda – je ne peux qu’admettre !), au Nord-Ouest de l’Argentine, sans réservation de chambre d’hôtel ni peso argentin. Nous pourrions sortir de l’argent d’un distributeur mais la situation économique et l’inflation monétaire du pays depuis plusieurs années incite à procéder autrement.

Durant l’été 2001, l’Argentine traverse une crise économique provoquée par une fuite massive des capitaux, partiellement jugulée par un contrôle draconien des dépôts bancaires, appelé Corralito, basé sur l’obligation d’effectuer toutes les opérations financières à travers les banques et la restriction des retraits d’argent en numéraire. Dans un contexte où une importante majorité de la population n’est pas bancarisée, la perception des salaires devient un casse-tête et la crise s’aggrave radicalement en décembre 2001, provoquant de nombreuses émeutes au sen des classes sociales les plus appauvries par la crise : un vrai chaos social. Une sanglante répression des forces de l’ordre, faisant 31 morts, puis la démission du ministre des Finances ne suffisent pas à calmer la colère du peuple, et le Président est contraint de signifier sa démission en s’enfuyant du Palais Présidentiel en hélicoptère.

En dix jours, quatre présidents se succèdent (Camaño, Rodriguez Saa, Puerta, Duhalde), le gouvernement argentin se déclare en état de cessation de paiement provoquant un approfondissement encore lus important de la crise économique. Début janvier 2002, le nouveau gouvernement procède à un gel total des avoirs bancaires, appelé Corralón, et une dévaluation officielle du peso de 28 % par rapport au dollar, tandis que dans la rue le dollar se change à 1,60 peso pour atteindre très vite plus de 3 pesos. C’est le début d’une inflation sans fin pour l’Argentine. En 2012, de nouvelles restrictions et limitation drastique visant à contrôler l’entrée de devises étrangères en Argentine et l’épargne en devises étrangères des Argentins, génère une forte demande de monnaie stable de la part de la population dont le moyen le plus simple mais illégal consiste à acheter des dollars (et euros) aux touristes visitant le pays. C’est ainsi qu’il existe un marché parallèle de la monnaie à peu près partout en Argentine. Fin 2013, alors que le cours officiel du dollar US s’établit entre 5,5 et 6 pesos dans un établissement de change, on peut obtenir jusqu’à 10 pesos par dollar en vendant ses dollars sur le marché noir, dans la rue : une aubaine pour les touristes qui sont informés et qui rentrent en Argentine avec des dollars US ou des euros.

Informés préalablement, nous avons pris soin de sortir des dollars américains régulièrement lorsque les distributeurs automatiques boliviens le permettaient, pour minimiser un peu le coût de notre séjour en Argentine. Mais, à notre arrivée à Salta, il est déjà 21h, nous ne pourrons trouver personne à cette heure pour échanger nos dollars dans la rue et j’ai, de plus, besoin de me renseigner un peu plus sur la façon de procéder, les endroits sûrs pour effectuer une transaction et m’assurer que le taux non officiel pratiqué a Salta est aussi intéressant qu’ailleurs. Bref, le changement de devise, ce sera pour demain.

En attendant, sans un peso en poche (mais avec un bon paquet de dollars, qui ne quitte pas la poche « secrète » de mon pantalon – qui n’a rien de secret, mais ça me rassure de penser qu’elle l’est -), nous sommes contraint de rejoindre le centre de Salta à pied chercher un hôtel. Après une petite demi-heure de marche, sacs chargés sur le dos, nous tombons par hasard sur une auberge appelée « Alquimia » (Alchimie, en français, bien sûr), juste en face de l’hôtel que nous cherchions initialement et qui a semble-t-il mis la clé sous la porte. En passant la porte d’entrée de « l’Alquimia », cris de joie de toute part car nous retrouvons à nouveau par chance, le groupe de l’excursion au Salar de Uyuni : Liz, d’Hawaï, et Manuel et Gustavo, d’Uruguay. Nous savions qu’ils devaient eux aussi s’arrêter à Salta mais doutions fort de les recroiser car nos programmes respectifs semblaient diverger.

Dès le premier soir, nous faisons un « asado » (le terme argentin pour « barbecue ») dans le patio intérieur de l’hôtel avec tous les clients de l’auberge ainsi que les gérants, Matías et Jimena, deux jeunes frères et sœurs salteños trentenaires. La soirée se poursuit dans la rue Balcarce, « the place to be » pour profiter de la vie nocturne à Salta : c’est dans cette partie nord de la ville que se concentrent la plupart des « peñas », des bars-restaurants, dans lesquels les salteños viennent diner, boire et écouter de la musique folklorique, jouée par des groupes locaux qui viennent se produire sous forme d’interminables « jam sessions ».

Salta, 1187 m. d’altitude, environ 550 000 habitants, est la capitale de la province du même nom et la plus grande ville de cette région. Elle est aussi au centre d’une importante région agricole : maïs, tabac, céréales, canne à sucre, etc. s’exportent en Europe via Buenos Aires, ou en Californie et dans les marchés du Pacifique par le port chilien d’Antofagasta. Célèbre pour son architecture coloniale, elle est devenue ces dernières années un important centre de tourisme et on la surnomme « Salta la Linda » (Salta la Belle).

Le lendemain midi, un sympathique groupe s’est formé à l’hôtel et nous sommes maintenant une petite dizaine de backpackers déambulant dans les rues de Salta et autour du marché central avec l’intention de découvrir la ville ensemble. C’est très sympa mais il est bien compliqué de prendre des décisions à 10, par exemple sur le lieu et l’horaire pour déjeuner, d’autant que les uruguayens du groupe sont végétariens! C’est finalement le gérant de l’hôtel, Matias qui prend les choses en main en contactant l’un de nous et suggérant que nous le rejoignions à la maison de ses parents pour un autre « asado », afin de profiter de la piscine et d’avoir plus d’espace qu’à l’hôtel. L’Alquimia porte bien son nom : un hôtel pour backpackers dans lequel règne une atmosphère fantastique et dont les gérants participent pour une immense part à cette bonne ambiance : vous connaissez beaucoup d’hôtels dans lesquels le patron invite 10 clients arrivés le soir précédent pour un barbecue chez lui ? Bref, la visite de Salta, ce sera pour un autre jour.

C’est au cours de cet après-midi que nous rencontrons Nicola, un italien de Bologne, et Ariel, argentin, de Buenos Aires, avec qui nous prenons la route le lendemain, ainsi que Liz, en direction de Cafayate, une charmante et touristique petite ville située au sud de la province, dans les vallées dites Calchaquíes, sur les rives du río Chuscha, particulièrement connue pour ses vins et fréquentée par de nombreux touristes en quête de bonnes bouteilles et de bonne viande. La route entre Salta et Cafayate passe par la Quebrada de Cafayate, un canyon formé par le Río de las Conchas, qui contient des formations rocheuses spectaculaires et une végétation présentant des couleurs variées. Deux endroits retiennent particulièrement l’attention des visiteurs : la « Garganta del Diablo » et « El Anfiteatro », sont les noms donnés à d’immenses cavités rocheuses dont les strates sédimentaires sont particulièrement nombreuses et bien visibles. La configuration naturelle de l’Anfiteatro lui confère une acoustique rare pour un lieu extérieur, qui attire quotidiennement des musiciens venus expérimenter cette originalité.

A notre arrivée à Cafayate, nous déjeunons en terrasse, de la viande, bien sûr, et du vin rouge de la région pour accompagner ce succulent repas puis nous partons en promenade le long du río Colorado, à la recherche de chutes d’eau que nous n’aurons pas le loisir d’atteindre par manque d’eau en cette période. Après une petite heure de marche et quelques photos de rigueur, nous terminons cette excursion à Cafayate par une dégustation de vins chez l’un des producteurs de la ville, la Bodega « Domingo Hermanos » où nous goûtons 4 vins différents : 2 rouges, un Malbec et un Tannat et 2 blancs, tous les deux issus du cépage argentin Torrontés. Nous étions déjà amateurs de vins rouges argentins qui tiennent presque toujours leur promesse : des vins puissants et fortement alcoolisés qui accompagnent idéalement la viande rouge. Le Torrontés, cépage blanc emblématique du pays, est en revanche une découverte originale. Le nez est trompeur, évoquant des vins liquoreux type Monbazillac, mais ce cépage donne en réalité des vins pâles aromatiques, moyennement alcoolisés avec parfois une finale un peu amère et se consomment presque toujours dans l’année de vinification pour profiter de ses arômes jeunes. C’est un cépage importé de France à l’origine et qu’on ne trouve qu’en Argentine de nos jours.

Nous passons notre dernière journée dans le centre de Salta qui nous impressionne moyennement en terme d’architecture coloniale (ça ne vaut pas Arequipa où Sucre, à mon humble avis), que nous n’avions toujours pas visitée, en passant par la Plaza 9 de Julio, flanquée d’une jolie cathédrale à la façade rose puis nous montons à pied au « Cerro San Bernardo » pour prendre quelques photos aériennes de la ville.

Ainsi s’achève notre première étape argentine, car demain matin, le 12/12/2013, changement radical de décor, nous descendons jusqu’au point le plus austral de notre voyage, en Patagonie!