El Calafate et le glacier Perito Moreno

Cela fait un mois et demi que nous n’avons plus approché un aéroport, depuis notre arrivée à Lima, au Pérou, voyageant exclusivement par voie terrestre. Ce matin du 12/12/2013, compte tenu de notre prochaine destination, nous n’empruntons un bus que pour une courte demi-heure, le temps de rejoindre l’aéroport de Salta, d’où nous décollons en fin de matinée pour rejoindre la ville d’ « El Calafate » au Sud de la Patagonie argentine, avec une courte escale à Buenos Aires.

Lors de notre pause chilienne à San Pedro de Atacama, nous avons en effet pris la décision de remplacer notre séjour au Chili par une étape en Patagonie. Ce n’est pas qu’elle soit proche de Salta (3850 km à parcourir, tout de même), mais c’est une région nettement plus exotique, sauvage, que la ville de Santiago du Chili par exemple, et aussi moins accessible depuis l’Europe, alors tant qu’à avoir mis les pieds en Argentine, ça vaut la peine de pousser encore un peu plus au Sud. Mais compte tenu de l’éloignement de cette immense région avec le nord de l’Argentine, et au vu de notre agenda, la voie aérienne s’imposait au moins pour l’aller ou le retour.

La Patagonie, également appelée « Le Grand Sud », est un immense territoire comprenant principalement le Sud de l’Argentine et le Sud du Chili. La superficie de la Patagonie argentine est 5 fois plus importante que la partie chilienne ce qui fait un territoire plus grand que la France. Ces deux régions, séparées par la cordillère des Andes, abritent des paysages contrastés de montagnes, de glaciers, de pampa, de forêts subpolaires, de littoraux, d’îles et d’archipels : une variété rare! Habitée depuis plus de 10 000 ans par les Sud-Amérindiens tels les Mapuches, les Tehuelches ou les Selknams, ces terres furent décrites pour la première fois par l’italien Antonio Pigafetta dans son récit du premier tour du monde du navigateur portugais Fernand de Magellan publié en 1525. Après une colonisation lente et difficile, la plupart des autochtones disparurent, remplacés par une population métissée qu’on peut qualifier de « sud américano-européenne ». Avec une densité de 3,8 habitants par km2, la Patagonie est une des régions les moins peuplées au monde. Ses terres sont exploitées pour l’élevage de bétail en d’immenses fermes ou convoitées pour leurs ressources naturelles importantes. Elle représente des intérêts écologiques importants qui suscitent des convoitises de toute part. L’étymologie du mot « Patagonie » a fait l’objet de nombreuses recherches et controverses et un certain nombre d’interprétations ont longtemps convergé vers une relation avec l’idée de « grands pieds » en référence à l’unique témoignage de l’un des 18 survivants de l’expédition de Magellan autour du monde qui, de retour en Europe, début 1520, décrit dans un récit la rencontre avec un « géant » qui « était si grand que le plus grand de nous ne lui venait qu’à la ceinture » et précise plus loin que le capitaine qualifia ces gens par le terme « Pataghoni ». Le mythe des Géants Patagons ne s’estompa qu’à la fin du XVIIIème siècle, lorsque d’autres explorateurs rapportèrent des témoignages indiquant avoir rencontrés des Amérindiens pas plus grands que 2 m, certes plus grands que la moyenne européenne de l’époque, mais en aucun cas des « géants ». L’hypothèse aujourd’hui généralement retenue est que le nom « Patagonie » trouve son origine dans un roman de chevalerie publié en 1512 par Francisco Vázquez, évoquant une immense créature sauvage appelée « Patagón ». Ce roman très en vogue à l’époque, était sans doute connu de Magellan qui aurait associé les autochtones rencontrés, avec leurs peaux d’animaux en guise de vêtement et leur consommation de viande crue, à la créature décrite par Vázquez dans son roman.

La région fascine principalement pour sa nature sauvage mais aussi pour la population qu’elle a accueillie tout au long de l’Histoire. Les premiers occupants indiens furent exterminés par les colons anglais, puis par les changements d’habitudes alimentaires et par des maladies véhiculées par les nouveaux arrivants. Plus récemment, ces terres furent choisies comme terre d’exil pour les criminels emprisonnés à Ushuaia, pour les extravagants, les révoltés et également par les aventuriers en tout genre. La Patagonie a par exemple vu s’installer sur ces terres, Butch Cassidy, légendaire pilleur de banques et de trains ayant sévit aux États-Unis à la fin du XIXème siècle, puis plus récemment de nombreuses célébrités telles que Sylvester Stallone, Florent Pagny ou la famille Benetton.

Pour revenir à nos aventures, nous atterrissons donc le 12/12/2013, en fin de journée à El Calafate, environ 20 000 habitants, une petite ville de la province de Santa Cruz, située sur la rive Sud du lac « Argentino », le plus grand lac d’Argentine et le 3ème plus grand de tout le continent sud-américain. El Calafate est une localité chère et très touristique, qui doit sa notoriété au fait d’être la ville la plus proche, donc la porte d’accès, du « Parc national des Glaciers » ou « Parque Nacional Los Glaciares ». Ce parc, inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 1981, qui s’étend sur plus de 350 km du Nord au Sud et 50 km d’Est en Ouest, englobe entre autres 2 gigantesques lacs : le lac Argentino, ci-dessus évoqué et le lac Viedma plus au Nord, ainsi que plusieurs sommets emblématiques comme le Mont Fitz Roy ou le Cerro Torre. Mais son principal objectif, comme son nom l’indique, est la préservation des glaciers qu’il comprend. Et il y en a 48 en tout, dont certains s’étendent sur une superficie comparable à celle de la ville de Buenos Aires ! C’est le cas du Perito Moreno, le plus célèbre de tous, un glacier d’une incalculable valeur scénique, et facilement accessible en véhicule depuis El Calafate !

Ces nombreux glaciers, protégés par le parc national, ne sont en fait que les terminaisons d’une énorme calotte glaciaire d’environ 10 000 km2, appelée « Hielos Continentales Sur », répartie entre l’Argentine et le Chili, la plus grande calotte glaciaire continentale et la plus grande zone de glace après l’Antarctique et le Groenland. Ces 3 sites sont ce qu’il reste des longues périodes glaciaires que la Terre a vécu, lorsque près de 30% du globe était enseveli sous la glace !

Le jour suivant notre arrivée à El Calafate nous permet dans un premier temps d’organiser notre excursion au glacier Perito Moreno, prévue pour le 14/12/2013. Situé à environ 50 km de la ville d’El Calafate, il n’y a pas 36 façons de se rendre à cet extraordinaire glacier: c’est le bus, cher et peu flexible en termes d’horaires, ou la location d’un véhicule, envisageable uniquement si nous pouvons trouver 2 voyageurs ou un couple pour se partager les frais. Par chance, après avoir fait la quasi-intégralité des agences de location de la ville, je croise Markus et Olivia, un couple d’allemands arrivés hier soir par le même vol que nous avec qui nous n’avions pas eu de contact mais qui me semblent sympathiques. Je leur explique donc que j’ai déjà des offres de 2 agences et que c’est environ iso-coût que le bus mais bien plus sympathique et souple de partir en autonomie pour la journée. Le plan les branche (ils cherchaient eux aussi une excursion pour le lendemain) et me confirment donc une demi-heure plus tard leur accord pour que je réalise la réservation. RDV demain matin 9h30 à leur hôtel !

En attendant, nous profitons de la relative douceur du climat, même si le vent souffle fort, et de l’ensoleillement prolongé (c’est l’été en ce moment et le soleil ne se couche qu’entre 23h et minuit) pour aller nous promener en début de soirée sur les bords du lac Argentino dont les eaux turquoises sont un régal visuel.

Le lendemain matin, après une petite heure de route, en compagnie des allemands rencontrés hier, nous approchons enfin de l’extraordinaire Perito Moreno. Baptisé du nom de l’explorateur Francisco Moreno, ayant étudié cette région au XIXème siècle et ayant joué un rôle crucial dans la défense du territoire argentin, dans les discussions pour la délimitation de la frontière avec le Chili, ce monstre de près de 30 km de longueur présente une hauteur de glace de près de 170 m (bien qu’à certains endroits, l’épaisseur de glace atteigne 700 m.) dont 70 m sont émergés, son front de 5 km venant se jeter dans le lac Argentino. Il est l’un des 3 seuls glaciers de Patagonie (avec le Spegazzini) à ne pas être en régression et il est même considéré comme l’un des glaciers les plus vivants au monde puisqu’il avance d’environ deux mètres par jour soit près de 700 mètres par an.

Après avoir observé cette force de la nature depuis un mirador situé à quelques km, nous sommes maintenant à quelques dizaines de mètres du front de ce géant qui fait face à la péninsule de Magellan. Le bout de la péninsule est équipé de passerelles en bois s’étendant sur plusieurs km permettant d’observer et d’écouter un phénomène caractéristique de ce glacier appelé « rupture ». À la différence d’autres glaciers caractérisés par les effondrements de pans de glace, le Perito Moreno détache d’immenses blocs de glace dans un bruit impressionnant qui se répercute dans toute la vallée par écho. À n’importe quelle époque de l’année, se produisent des effondrements constants de ses murs de glace qui viennent se fracasser à la surface du lac Argentino, provoquant de mini-tsunamis. Le glacier atteint aujourd’hui la rive opposée et divise le lac en deux, créant des digues naturelles, provoquant une montée des eaux du bras Rico du lac Argentino qui érodent le glacier. Ce dernier devient moins résistant et finit par céder sous la pression. Cet effondrement spectaculaire du front du glacier a lieu périodiquement, mais la fréquence de ce cycle est irrégulière et peut prendre d’un an à une décennie. La première rupture a été observée en 1917. La dernière date de mars 2012, et les précédentes se sont produites en 2008, 2006 et 2004 à une fréquence supérieure à la moyenne du XXème siècle d’environ une fois tous les quatre à cinq ans. Il faut avoir beaucoup de chance pour être témoin de ce spectaculaire phénomène, mais pour le plus grand bonheur des touristes, de multiples épiphénomènes similaires se produisent quotidiennement et sont déjà impressionnants.

Une autre caractéristique du Perito Moreno est son intense couleur bleue par endroits. En fonction de la densité de la glace, plus au moins élevée selon sa teneur en air, la capacité d’absorption de la lumière varie. Lorsque la lumière solaire, formée d’un spectre d’ondes électromagnétiques comprenant toutes les nuances colorées, pénètre dans une partie compacte du glacier, ses composantes à grande longueur d’onde sont absorbées par les molécules d’eau glacée quand ses composantes bleues, de longueur d’onde plus courtes, sont réfléchies dans toutes les directions, l’œil humain percevant alors une couleur bleutée à la surface du glacier. Le Perito Moreno présente de nombreuses zones de très forte densité de glace et ce phénomène est donc particulièrement visible en son front.

Après ce magique spectacle, nous reprenons la route en contournant le lac Argentino par sa rive Sud et profitons de notre voiture de location pour nous écarter un peu d’El Calafate et nous enfoncer dans une Patagonie moins touristique. Le mauvais temps finit par avoir raison de nous et malgré notre intention initiale de rester tard dans la soirée aux côtés de Dame Nature, dans sa tenue la plus « sauvage », nous sommes contraints de rentrer bien plus tôt que l’heure du coucher du soleil, qui n’aura pas montré son visage de tout l’après-midi. La promenade nous aura au moins permis de photographier quelques paysages typiques ainsi que de nombreux animaux qui semblent apprécier pleinement leur lieu de vie et l’éloignement des êtres humains.

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