Machu Picchu par la route alternative

Si l’accès à la « cité inca perdue » est déjà difficile par la géographie des lieux, il l’est tout autant parce que les péruviens semblent vouloir rendre la compréhension de son accès encore plus compliquée, cela favorisant sans doute le commerce des circuits organisés par les agences touristiques de la Vallée Sacrée. Il existe probablement une demi-douzaine de manières de s’y rendre et nous devons une fière chandelle à Ludwig, le patron allemand de l’hôtel Frankenstein dans lequel nous avons séjourné à Cuzco, qui est remarquable de clarté dans les explications qu’il procure à ses clients et vraiment pas avare de son temps. Les treks de plusieurs jours, comme le célèbre « chemin de l’inca », la randonnée la plus célèbre d’Amérique du Sud, ou encore le trek de Salkantay, nécessitent pour la plupart de réserver les services d’un guide, qu’il faut donc avoir réservé bien à l’avance, et ils prennent plusieurs jours pour accéder à Machu Picchu, en plus du fait qu’ils sont vendus à prix d’or par les agences touristiques de Cuzco. Nous avions donc écarté depuis longtemps cette option. Le train depuis Cuzco, ou la combinaison bus de Cuzco à Ollantaytambo puis train d’Ollantaytambo à Aguas Calientes, le village situé en dessous de Machu Picchu, est une option plus rapide mais hors de prix également par rapport au coût moyen de la vie au Pérou. Ne courant pas particulièrement après le temps, nous écartons aussi cette voie.

Le 09/11/2013 au matin, nous formons donc un groupe de 4 avec nos nouveaux potes espagnols, Ruben et Rosa, et quittons l’hôtel en direction de Machu Picchu par ce que beaucoup appellent ici « la route alternative », plus longue que le train, mais aussi nettement plus économique. Elle consiste en un premier trajet de 4 à 5 heures en bus ou minibus (« colectivo ») entre Cuzco et la minuscule ville de Santa Maria, l’itinéraire passant par le col Abra Málaga (4350 m. d’altitude) séparant Ollantaytambo du bassin amazonien, puis un second trajet d’une heure en taxi pour rejoindre une autre petite ville appelée Santa Teresa, puis un dernier tronçon de taxi entre Santa Teresa et une – devenue célèbre – station hydroélectrique (« hydroelectrica »), par laquelle passent de plus en plus de voyageurs pour rejoindre Machu Picchu, et à partir de laquelle il n’est plus possible de continuer en voiture. A partir de cette usine de production électrique, encore en fonctionnement, où travaillent plus de 500 ouvriers, il faut encore marcher pendant deux à trois heures, sur une quinzaine de km, le long de la seule voie ferrée qui mène à Aguas Calientes, en prenant garde aux quelques trains qui circulent sur la voie en s’annonçant systématiquement et à l’avance. En effet, la fameuse « route alternative » est de plus en plus empruntée et les piétons qui longent cette voie ferrée sont très nombreux. Au total, le trajet prend entre 6 et 9 heures en fonction du trafic, des délais d’attentes à chaque transfert et de la vitesse de marche sur la dernière partie. Il est aussi possible de « couper » en restant dormir à Santa Teresa, qui offre d’agréables sources chaudes, puis de réaliser la marche le lendemain : c’est ce que font Ruben et Rosa de qui nous nous séparons temporairement car notre billet d’entrée pour Machu Picchu est pour le lendemain, le leur, pour le jour suivant. Partis de Cuzco à 8h00 le matin, nous arrivons à Aguas Calientes vers 17h après une promenade ensoleillée et une rafraichissante pluie sur les tous derniers km de marche.

Le lendemain matin, il existe là encore deux possibilités pour réaliser l’ascension jusqu’à l’entrée du sacro-saint Machu Picchu : prendre l’un des innombrables bus, payants, qui montent en lacets pendant une vingtaine sur une piste poussiéreuse, ou bien utiliser une fois de plus ses jambes pour gravir les marches qui vous mèneront à l’entrée des ruines, ce qui ne vous coûtera que des calories. Nous optons, Magda et moi, pour la marche ! Nous avons choisi de nous rendre à Machu Picchu par la « voie alternative et économique », alors ne craquons pas si près du but !

Vers 8h30, le 10/11/2013, après une ascension d’une heure environ, au cours de laquelle nous n’avons croisé pratiquement personne, nous y sommes enfin : Machu Picchu s’offre à nous, sous un temps maussade, et nous sommes agréablement surpris par la quantité « raisonnable » de touristes (au moins à notre arrivée). On a filmé notre arrivée (cf. Flickr), de sorte que vous puissiez vivre ça comme si vous aviez été là, avec nous !

Pour la plupart des voyageurs au Pérou, la « cité inca perdue » de Machu Picchu est le clou de leur voyage. Dotée d’une situation mythique et spectaculaire, elle est le site archéologique le plus célèbre du continent, demeurant pourtant inconnue des conquistadors et restant dans l’oubli jusqu’au début du XXème siècle, quand l’historien américain Hiram Bingham le découvre en 1911, guidé par les quelques quechuas qui en connaissaient l’existence. Bingham pensa d’abord avoir trouvé la cité perdue de Vilcabamba, le dernier bastion des Incas, dont nous savons aujourd’hui que les vestiges se trouvent plus profondément encore, dans la jungle. Lors de leur arrivée, Bingham et son équipe durent se contenter d’un vague plan, le site étant recouvert de végétation. Aujourd’hui encore, les connaissances concernant Machu Picchu demeurent superficielles, les archéologues en sont réduits à émettre des hypothèses et à se perdre en conjectures sur sa fonction. Quand certains pensent que la cité fut fondée dans les dernières années de l’Empire Inca, dans un ultime sursaut pour préserver leur culture ou rasseoir leur pouvoir, d’autres supposent que le site était déjà déserté et oublié à l’époque de la conquête. Son emplacement et le fait qu’au moins huit routes d’accès aient été découvertes suggèrent que la cité était le centre névralgique des échanges commerciaux entre les régions de l’Amazonie et de la cordillère. L’exceptionnelle qualité du travail de la pierre et l’abondance des ornements laissent aussi supposer que Machu Picchu fut un important centre cérémoniel.

A l’intérieur des ruines, beaucoup suivent un itinéraire pour la visite qui commence par un point stratégique, dévoilant une vue sur le site d’une ampleur inégalée, surnommé « hutte du Gardien du rocher funéraire », derrière laquelle un rocher sculpté aurait servi pour momifier les nobles. Ensuite, une boucle dans le sens des aiguilles d’une montre vous permettra de découvrir une série de 16 superbes bains cérémoniels, surplombés par le « temple du soleil », une tour pointue qui s’enorgueillit de quelques-unes des pierres les plus finement ouvragées de la cité et qui servait sans doute à l’étude des astres. Plus loin, un petit sentier dans un secteur jonché de rochers, qui devait servir de carrière, conduit à la « Place Sacrée », entourée par des édifices majeurs : le « Temple aux trois Fenêtres », agrémenté d’immenses ouvertures trapézoïdales, caractéristiques de l’ère inca, le « Temple Principal », devant son nom à es dimensions imposantes et un dernier appelé « Maison du Grand Prêtre ». Encore un peu plus loin, un escalier mène au sanctuaire principal de la cité, « l’Intihuatana », qui se traduit librement du quechua « poteau d’amarrage du Soleil », et qui fait référence à un pilier sculpté dans la roche. Souvent pris à tort pour un cadran solaire, il servait en réalité aux astronomes incas pour prédire les solstices et donc le retour des longs jours d’été. Plusieurs Intihuatanas ornaient jadis divers grands sites incas jusqu’à ce que les Espagnols en détruisent la plupart, considérant le culte du Soleil, comme blasphématoire. La « Place Centrale » de Machu Picchu marquait la séparation entre le secteur cérémoniel et les quartiers profanes, industriels et résidentiels, moins bien construits. En revenant maintenant vers l’Entrée principale, on passe par le bloc carcéral, consistant en un labyrinthe de cellules, de niches, de passages, parfois souterrains, et un dernier temple, appelé « temple du condor », abritant une tête de condor sculptée, placée devant des rochers qui évoquent les ailes déployées de l’oiseau.

La qualité exceptionnelle du travail de la pierre et la difficulté d’accès au site ne peuvent qu’amener à s’interroger sur la conception de la cité. A la sortie, de nombreuses plaques « commémoratives » signées par des organisations diverses, reconnaissent la précision, la qualité, la durabilité presque inexplicable des édifices et des canaux d’irrigation de Machu Picchu.

Nous redescendons à pied vers Aguas Calientes en fin de matinée et retrouvons avec grand plaisir Ruben et Rosa avec qui nous partageons un déjeuner puis un dîner le soir. Après une deuxième nuit à Aguas Calientes, et un petit-déjeuner avalé « sur le pouce », nous montons cette fois à bord d’un train de la  compagnie Perú Rail, acheté au prix fort, pour rejoindre Ollantaytambo en deux petites heures et éviter ainsi de reperdre une journée complète par la « route alternative ». Après Machu Picchu, la Vallée Sacrée nous réserve encore quelques surprises.

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